La dîme du chapitre de Notre-Dame de Paris - Les Chartreux de Vauvert.
En l'année 1216, au mois de novembre, Gui de La Norville, chanoine d'Orléans, engagea par-devant Pierre, évêque de Paris, à l'église Saint-Vincent de Linas, sa dîme de La Norville pour la somme de 240 livres parisis.Par le même acte, il promit solennellement de vendre cette dîme à la même église aussitôt qu'il serait en son pouvoir de le faire. Robert de Gravelles, chevalier, neveu de Gui le chanoine, consentit à cet engagement et se porta garant de son exécution, ainsi que maître Gautier Cornu, chanoine de Paris, et Philippe, official du même diocèse(1).
Gui de La Norville ne put ou ne voulut tenir ses engagements envers l'église Saint-Vincent de Linas. Au mois d'octobre 1231, il vendit au chapitre de Notre-Dame de Paris la dîme de blé et le dîmage qui lui appartenaient à la Norville pour la somme de 500 livres parisis payées comptant. Cette vente se fit du consentement exprès des maîtres du fief des dîmes : Guillaume de Gravelles, écuyer, et Henri de La Norville, chevalier. Les neveux du chanoine, fils probablement de Robert de Gravelles qui avait paru dans l'acte de 1216, Guillaume, chevalier, et Ansel, écuyer, se portèrent garants de cette vente et tous se soumirent à la juridiction de l'official de Paris pour le cas où, manquant à leurs promesses, ils attireraient sur eux une sentence d'excommunication(2).
La perspicacité ne paraît pas avoir été le propre de cette famille, pas plus que la fidélité dans les promesses. Aussitôt après la mort de Gui le chanoine et celle de Guillaume de Gravelles, maître du fief des dîmes, arrivée vers 1240, des contestations s'élévèrent entre leurs héritiers et le chapitre de Notre-Dame. Pour donner plus de force à l'acte de vente de 1231, en présence de ces dissentiments, Guillaume, évêque de Paris, le revêtit de son approbation au mois de décembre 1243, en même temps que Bernard, curé de La Norville, renonçait à tous les droits qu'il pouvait avoir à cause de sa cure sur les dîmes autrefois vendues(3).
Il fallut cependant aborder les difficultés de front et examiner le bien ou le mal fondé des réclamations élevées par la famille des de Gravelles. Guillaume de ce nom, maître du fief des dîmes avec Henri de La Norville, eut trois frères : Jean, qui devint seigneur des Granges; Robert, qui devint seigneur de Boissy, et Réginald, qui porta le nom de Gravelles. Guillaume, d'un premier mariage avec une nommée Eremburge, eut deux filles : Agnès, qui épousa Thibault de Tignonville, et Jeanne, qui épousa Pierre, frère de Thibault. Celui-ci devint aussi plus tard seigneur de Boissy. Eremburge étant morte, Guillaume de Gravelles épousa en seconde noces Jeanne de Tignonville et eut de ce mariage une fille nommée Euphémie. En donnant son consentement à la vente de la dîme que possédait Gui le chanoine, Guillaume de Gravelles s'était considéré comme seul et unique maître du fief. Il avait stipulé avec le chapitre de Notre-Dame dans cette persuasion et avait négligé le droit de ses trois frères. De plus, il avait oublié que sur le fief de ces dîmes, sa première femme Eremburge et sa seconde femme Jeanne avaient un droit de douaire. Le chapitre, attaqué par Thibault de Tignonville et Pierre de Boissy, gendres de Guillaume de Gravelles; par Jeanne, sa veuve, et Euphémie, sa fille; par ses trois frères, Jean, Robert et Réginald, fut obligé, après examen, de reconnaître la légitimité des réclamations élevées par ces différents partis. Du consentement de Guillaume d'Echarcon dit de Gravelles, neveu et héritier de Gui le chanoine, qui s'était porté garant pour son oncle en 1231, le chapitre de Notre-Dame entra en composition avec les réclamants et leur donna, pour mettre fin aux disputes, la somme de 45 livres que les de Gravelles et les de Tignonville partagèrent entre eux, aux mois de février et de mars de l'année 1245. Guillaume d'Echarcon, au mois de mai de l'année suivante, donna une somme de 20 livres au chapitre de Notre-Dame pour l'indemniser des frais et dépens que lui avait occassionnés cette affaire(4).
Après avoir reçu les 45 livres versées par le trésorier du chapitre, les de Gravelles et les de Tignonville renoncèrent officiellement à leurs droits sur la dîme de La Norville. Par-devant l'official de Paris, le doyen de la chrétienté d'Etampes, au diosèce de Sens, et le doyen de Gambais, au diosèce de Chartres, en mars 1245, ils promirent à l'église de Paris de ne plus élever des réclamations à l'avenir, la confirmant dans sa possession et lui donnant toutes sortes de garanties(5).
Ces promesses ne furent pas longtemps gardées. Le temps de la récolte de 1245 étant venu, les de Gravelles et les de Tignonville levèrent la dîme du blé à La Norville pour leur propre compte et usèrent même de violences envers les décimateurs du chapître de Notre-Dame. La mesure était comble. L'official de Paris lança contre eux une sentence d'excommunication, et, pour donner plus de poids à cette juste pénalité, il en demanda confirmation au souverain Pontife Innocent IV, alors au concile de Lyon.
Innocent IV acquiesca aux désirs de l'official de Paris. Par une bulle du 16 des calendes d'octobre 1245, revêtue du sceau de plomb, il enjoignit aux officialités de Sens, de Chartres et de Senlis de prêter main-forte à celle de Paris, de faire exécuter la sentence d'excommunication dans leurs diosèses et d'en poursuivre les effets jusqu'à ce que satisfaction entière fût donnée au chapitre de Notre-Dame(6).
Les de Gravelles et les de Tignonville se soumirent et on ne voit pas qu'à partir de cette époque ils aient inquiété les chanoines dans la paisible jouissance de leurs droits. Chaque année ceux-ci prélevèrent quatre gerbes de blé par arpent ensemencé. Dans la suite, ils prirent cette redevance sur les autres grains : l'avoine, le seigle, l'orge, les pois, les fèves et même sur les sainfoins, la luzerne et la bourgogne. Chaque gerbe ou chaque botte devait avoir trois pieds huit pouces de tour sous lien et, pour éviter toute contestation, les décimateurs du chapitre étaient obligés de se servir pour le mesurage des gerbes d'une chaîne dûment étalonnée au Châtelet de Paris(7).
En l'année 1231, dans l'acte même où la dîme fut vendue, Gui de La Norville avait permis au chapitre de Paris d'acheter dans son fief et d'y posséder, libre de toute charge, un arpent de terre pour y construire une grange. En 1255, les chanoines mirent à profit cette autorisation. Ils s'adressèrent à un nommé Roger dit Facillon et à sa femme Eremburge. Ceux-ci vendirent par-devant l'official de Paris, pour la somme de 14 livres parisis payées comptant, un arpent de terre et une petite maison à La Norville, en la censive de Guillaume de Gravelles, chevalier, alors décédé. En 1256, Jean de Gravelles, fils du précédent et héritier de Gui de La Norville, confirma cette vente en y donnant sa ratification(8). Le chapitre, en 1475, se défit de cette propriété et la donna pour une rente annuelle et perpétuelle de 4 sols 6 deniers parisis.
Ainsi établi dans la propriété et jouissance de la dîme du blé et du dîmage, le chapitre de Notre-Dame veilla avec un soin jaloux sur ses intérêts. Quelques habitants de La Norville et de Châtres ayant converti leurs terres labourables en vignes, les représentants du chapitre, en avril 1255, leur firent passer devant l'official de Paris un acte qui les engageait à payer non plus la dîme du blé, mais celle du vin récolté sur ces propriétés. Les signataires de cet acte furent André, dictus ad denarios, Jean Coquillart, Matthieu, Elicus, Jean Langlais, Guiard dictus parcens verum, Guérin Brolié, Guillaume Avice, Henri dictus sine denariis, Bertrand Trone, Pierre Durousseau, Radulphe le Faucheur, Henri, fils-d'André, Hugues Normand, Guillaume de Fulcon, Guiard son fils, Gaufrede et Etienne Brolié, André Brachet, Matthieu Normand, René de La Norville, Aubert Lesaint, Lambert et Pierre Dupuis, de La Norville, Simon Marcel et Guiborge, de Châtres. Ensemble ils possédaient 15 arpents et demi de vignes. Chaque année, au moment du pressurage, ils devaient donner au chapitre ou à son représentant un setier(a) de mère-goutte(b), mesure de Châtres, par quartier de vigne, deux setiers par demi-arpent et quatre setiers par arpent(9).
Ces droits du chapitre ne furent sérieusement contestés qu'en deux circonstances : en 1479, par Pierre Leprince, seigneur de La Bretonnière et de La Norville, et, en 1642, par Nicolas Auvray, curé, de ce dernier lieu. Pierre Leprince, poursuivi devant la Chambre des requêtes pour avoir levé, en son nom propre la dîme de La Norville, fut obligé, le 15 septembre 1480, de reconnaître l'injustice de ses prétentions, et le curé de La Norville, condamné devant la Cour de Parlement, dut, le 14 janvier 1643, payer au trésorier du chapitre la somme de 94 livres tournois pour les frais et les dépens occasionnés par son instance.
L'église de Paris dut lutter plus souvent pour faire respecter l',tendue de ses droits. En 1485, elle eut une contestation avec messire Joseph Langloys, curé, de Saint-Germain-les-Châtres, qui voulait soustraire au dîmage un certain nombre de ses propriétés et, en 1486, pour le même sujet, avec le curé de La Norville. Le procès engagé avec ce dernier ne se termina qu'en l'année 1489. En 1509, d'autres querelles s'élevèrent entre les mêmes partis. A peine étaient-elles assoupies que le prieur et le curé de Châtres firent valoir à leur tour quelques prétentions. Une sentence des Requêtes, en l'année 1511, mit fin à leurs attaques.
En 1525, les dîmes de La Norville étaient affermées au curé de cette paroisse. Le 17 juillet de cette année, il écrivit au chapitre pour se plaindre des rapines et des vols commis à son détriment. Les coupables étaient le vicaire du prieur de Châtres et le vicaire du curé de cette ville, messire Liger, chanoine de Paris. Les armes à la main, ces jeunes lévites étaient entrés avec violence (vi et armis instructi) sur les terres sujettes à la dîme du chapitre et avaient emporté le blé et les autres grains appartenant au curé locataire. Grande fut la rumeur qui s'éleva dans l'assemblée capitulaire tenue à l'arrivée de cette lettre. On ordonna que des informations fussent prises sur l'événement; après les informations, on devait s'adresser aux tribunaux pour le rétablissement du bon ordre. Le chanoine-curé Liger fut interpellé et jurant, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus il désavoua les forfaits de son vicaire. (Dixit quod non advoabat suum vicarium si quod forefactum fecerat) (10).
En 1546, les habitants et non le clergé de Châtres, se permirent à leur tour quelques indélicatesses à propos de la dîme du chapitre. Le chanoine Fouquet fut chargé d'examiner le cas et les voleurs furent punis. Pendant plus d'un demi-siècle, et, chose surprenante, pendant les guerres de religion, aucune violence ne fut exercée ni contre le chapitre, ni contre ses fermiers. En 1605, un procès fut encore soutenu contre le seigneur de Bruyères et, en 1627, contre le curé de Châtres. Le dernier assaut fut livré par l'abbesse et les religieuses de Villiers, en l'année 1729. Ces religieuses possédaient à La Norville environ 90 arpents de terre acquis au XIIIe et au XIVe siècle. En cette année, elles ne voulurent pas les soumettre au dîmage. Pour justifier leur résistance, elles produisirent des titres de propriétés qui leur donnaient le droit exclusif de dîmage sur leurs biens. La clause qui leur accordait cette faveur fut déclarée entachée de nullité; l'abbesse et les religieuses de Villiers furent condamnées devant la chambre des Requêtes, par sentence du 22 juin 1730.
Le chapitre de Notre-Dame afferma presque toujours ses dîmes de La Norville. En l'année 1359, cette ferme lui rapportait deux septiers de grains; en 1408, deux muids de blé, deux muids d'avoine et 4 livres parisis; en 1541, deux muids de méteil et un muids d'avoine; en 1567, 80 livres; en 1595, 40 livres; en 1605, 110 livres; en 1620, 112 livres; en 1643, 220 livres; en 1667, 273 livres; en 1695, 180 livres; en 1719, 219 livres; et, en 1759, 200 livres.
Le produit de ces grains et les sommes du fermage constituaient un bénéfice net pour le chapitre; mais les locataires étaient grevés d'autres charges. Malgré la renonciation du curé Bernard, consignée dans l'acte de 1243, les curés de La Norville et les titulaires de la chapellenie de Notre-Dame des Minots, fondée dans l'église de ce lieu, perçurent, dès le XIVe siècle, certains droits sur la dîme payée à l'église Notre-Dame de Paris.
D'après les comptes des trésoriers du chapitre, ces deux ecclésiastiques reçurent, en 1359, quatre muids et deux septiers de grains. En 1460, le chapelain des Minots eut pour sa part un muid de froment; en 1501, cette rétribution était diminuée de moitié. Dès lors, il ne reçut invariablement, jusqu'en 1789, que six septiers de blé. Au XVe siècle, cet ecclésiastique devait, pour une partie de son traitement, fournir au chapitre et entretenir à ses frais une grange à La Norville. Au siècle suivant, et probablement après la diminution de 1501, le chapelain des Minots fut seulement tenu à dire ou faire dire une messe dans l'église de La Norville le premier lundi de chaque mois.
La part du curé fut plus forte que celle du chapelain. En 1489, elle était de huit septiers de méteil et de six septiers d'avoine. En 1571, ce traitement, nommé gros du curé, fut augmenté de moitié. Jusqu'en 1789, le titulaire de la cure préleva chaque année sur la dîme du chapitre un muid et demi ou dix-huit septiers de grains, les deux tiers de froment et le tiers d'avoine. Le curé ne devait aucun service pour cette rétribution et il y a tout lieu de croire qu'elle était donnée en vertu d'arrangements secrets passés entre le chapitre de Paris et l'église de La Norville au moment où Bernard, curé de ce lieu, renonça à ses droits, peut-être par complaisance, afin de donner plus de force contre les de Gravelles à l'acte de vente passé entre les chanoines de Notre-Dame et Gui, leur collègue d'Orléans.
Au XVIIIe siècle, comme propriétaire de cette dîme, le chapitre de Paris vint plusieurs fois en aide à la fabrique de l'église Saint-Denis de La Norville. En 1731, au moment où fut construite une nouvelle sacristie, il donna une somme de 100 livres; en 1741, après une demande du curé, des marguilliers, des habitants, et sur le rapport de l'archidiacre de Josas, il fournit pour le culte un missel, un graduel, un antiphonaire et quatre processionnaux; dans les années 1749 et 1750 une somme d'environ 100 livres pour payer des réparations faites au chœur de l'église(11).
La Révolution française bientôt après fit passer son niveau égalitaire sur La Norville comme elle le fit passer sur tous les autres villages de France. Les dîmes furent abolies dans l'étendue du royaume et des droits six fois séculaires du chapitre de Paris, acquis à prix d'argent, il ne resta plus que le souvenir.
Les Chartreux de Vauvert.
Dans le partage fait devant Guillaume Thibout, prévôt de Montlhéry, le vendredi après l'octave de la Chandeleur de l'année 1282, entre Renaud de Frangeville, écuyer, agissant au nom de sa femme Ysabelle de Denonville, et son cousin Pierre de Denonville, écuyer, les terres de La Norville, celles du moulin de Fourcon et d'autres lieux, le droit de pressurage et de rouage échurent à Pierre de Denonville, les cens de La Norville, montant à la somme de 13 livres 44 sols parisis, à Renaud de Frangeville et à sa femme Ysabelle de Denonville. A cette rente de 13 livres 44 sols parisis, perçue chaque année le jour de la saint Rémy, étaient attachés quelques droits seigneuriaux : droit de lods et de rentes, de saisines et d'amendes. Prélevée en particulier sur cinquante arpents de vigne à La Norville, champtier des Trois-Croix, elle constituait une propriété féodale relevant directement du roi à cause de son château de Montlhéry(12).
Le lendemain de ce partage, Renaud de Frangeville et son épouse, par un acte passé devant l'official de Paris, donnèrent leurs rentes seigneuriales de La Norville, dans un but charitable, à titre d'aumône et pour le salut de leur âme, au prieur et au couvent des religieux chartreux établis par saint Louis, en 1257, au lieu appelé Vauvert, près Paris(13). Au mois de mars suivant, Philippe le Hardi, roi de France, donna des lettres d'amortissement à ces religieux, et, pour le repos de l'âme du roi son père, d'illustre mémoire, pour le repos de l'âme d'Ysabelle, son épouse, en son vivant reine de France, leur permit de posséder perpétuellement et pacifiquement ces rentes seigneuriales avec les droits qui y étaient attachés(14).
Renaud de Frangeville, en cédant purement et simplement aux Chartreux de Vauvert ses possessions de La Norville, ne s'était pas tenus dans la limite de ses droits. Ysabelle, sa femme, avait deux sœurs, Jeanne et Pernelle, religieuses cisterciennes de l'abbaye de Villiers. Leur vie durant, elles devaient percevoir sur la rente de 14 livres parisis une somme annuelle de 50 sols de même nature. Mention de cette charge n'avait pas été faite dans l'acte de donation. Les religieuses de Villiers protestèrent et il est probable qu'à la suite de leurs réclamations, l'acte passé devant l'official de Paris fut annulé du consentement des deux partis. Par cet acte, en effet, Renaud de Frangeville et sa femme avaient donné leurs cens à titre d'aumône et pour le bien de leur âme. D'après les titres de l'année suivante 1283, les cens étaient non plus donnés mais vendus pour la somme de 218 livres parisis. Les Chartreux, moyennant ce prix, avaient conservé leurs droits. Renaud de Frangeville s'était engagé de son côté à donner chaque année à leur couvent, le jour de saint Rémy, une somme de 50 sols parisis, durant la vie de Jeanne et de Pernelle, ses belles-soeurs, et, pour le cas où il ne tiendrait pas ses promesses, à payer trois sols parisis d'amende au roi et trois sols parisis aux religieux pour chaque jour de retard apporté au paiement de cette redevance. Il avait aussi hypothéqué, à titre de garantie, dix arpents de terre sis à Frangeville, au pays rémois, et des vignes sises à Issy, près Paris, soumises au pressoir du prévôt de cette ville. Ces diverses conventions furent passées au mois de février 1283 devant Gilles de Compiègne, prévôt de Paris et bailli de Montlhéry(15).
Toutes les oppositions à la vente semblaient être levées et toutes les précautions semblaient avoir été prises, les Chartreux étaient sur le point de verser la somme convenue, lorsque Pierre, curé de La Norville, vint à son tour protester au nom de son église. Il avait le droit de prendre à son bénéfice sur les rentes seigneuriales échues à Renaud de Frangeville 16 sols parisis de redevances annuelles. Ce droit n'avait pas été réservé dans l'acte de vente. En présence de cette seconde opposition, les Chartreux refusèrent de verser à Renaud de Frangeville la somme convenue. Pour mettre fin au différend qui s'éleva par suite de ce refus, les deux parties comparurent devant le prévôt de Montlhéry. Le mardi d'après le Trinité de l'année 1283, en présence de Gilles de Compiègne, le curé de La Norville favorisa l'entente. Il entra en arrangements avec Renaud de Frangeville et donna son consentement à la vente à la condition toutefois que ce seigneur lui servirait chaque année une rente de 16 sols parisis. Les Chartreux versèrent alors le montant intégral du prix d'achat et, la veille de la fête de la nativité de saint Jean-Baptiste, en la même année, reçurent quittance de la somme de 218 livres parisis donnée par Renaud de Frangeville à Guillaume Thibout, prévôt de Montlhéry en présence d'Aufran de Tigery, de Jouhanni, sergent du prévôt, de frère Ponce, religieux chartreux, et d'Antorant, sergent de ce dernier. Le prévôt de Paris, Gilles de Compiègne, du consentement exprès de Louis de France, second fils de Philippe le Hardi, mit alors les Chartreux en possession de leur cens et cette acquisition péniblement obtenue demeura à l'avantage de leur église(16).
Le dimanche d'après la Trinité, en l'année 1288, Renaud de Frangeville, du consentement de Ranulphe, évêque de Paris, remboursa à Pierre, curé de La Norville, la rente de 16 sols parisis qu'il s'était engagé à lui payer par la convention de 1283. Il donna dans ce but et pour l'augmentation du bénéfice curial la somme de 16 livres parisis(17).
Deux ans auparavant, les Chartreux avaient eu un différend avec Pierre de Denonville. Ce seigneur prétendait avoir le droit de garde, à cause de son pressoir, sur les vignes en la censive des Chartreux. Ces derniers lui contestaient ce droit. Une sentence du prévôt de Montlhéry leur donna gain de cause, en mars 1286.
En l'année 1318, les religieux de Vauvert reçurent en pur don de Richer de la Croix, demeurant à Châtres, deux pièces de terre sur le territoire de La Norville; l'une, de deux arpents trois quartiers, tenant à la terre de la Tigerie et au chemin de Marolle, et l'autre, de sept quartiers, au même champtier. Richer de la Croix s'en était réservé les profits sa vie durant. Il avait fait ce don aux Chartreux pour avoir part à leurs prières, aumônes et bienfaits.
Ces religieux firent percevoir très régulièrement leurs
cens à La Norville. Après la première période de la guerre de Cent Ans,
pendant les querelles des Bourguignons et des Armagnacs, Thévenot Châtry,
Simonnot Avrathevesse, Etienne Halingre, leurs receveurs, s'acquittèrent
scrupuleusement de leur charge. De 1392 à 1418, ils prélevèrent, au nom
des Chartreux de Vauvert, les 14 livres parisis de rente seigneuriale sur
les terres d'un certain nombre de champtiers que l'on nommait à cette
époque :
- L'Aunay-Poille Villain, l'Aunay à la dame de La Norville, les Araynes,
l'Aunay-Batereau ;
- Les bonnes, le Buisson feu Thomas, les Bois de Cornillé, Bouville, le
Bon-Puits, le Buisson à l'Aîné, le Buisson demi-voie, le
Buisson-Mallue;
- La Couture Poille-Villain, le Chief de Ville, la Couture Clément
Marchand, le carrefour de Bouville, le Cimetière de La Norville, le Chemin
de Maroles, le Chemin de Guibeville, le Chemin de Pasquot, le Chemin de
Ledeville, le Chemin de Chetainville, le Champ-Doulant;
- La Fontaine-Naude;
- La Haute-aux-Nonains;
- Les Joutherys;
- Le Marchays Ouacre, Mondeville, le Marchié aux pourceaux; les Ormeteaux,
l'Orme de Guibeville, l'Orma rond, l'Osthier de Boynville;
- Le Ponceau de Ledeville, les Près au seigneur de La Bretonnière; les
Ruyes-Maheut, le Rossay de La Norville, la Rosière, le Rochay;
- Les Saussaies, le Saulse-Gariton, le sentier de Guibeville, les Saulses
au Breton, la Sablonnière, le Saulse-Maucouvert, Touche-Boeuf, les
Trois-Croix;
- La Voie Maheut-de-Bruières; la Voie des près, la Voie Saint-Denis; la
Voie ou Chemin de Malet, la Voie des Polyes.
Les censitaires étaient alors : Clément Marchand, Jean Lambert, Jean Royer, Simon Cabry, Lucas du Ru, Jean Denis, Michon Hersant, Jean Marie, Arnoul et Regnault David, Gille, Simon et Philippot Jubin, Jean Antoigny, Gille et Thévenot Châtry, Collin et Perrin Hulin, Pierre le Serrurier, Jean de la Houssaie, Etienne Noël, Noël de Bouville, Jean de Vêne, Etienne de Vienville, Jean Morel, Jacob le Pillas, Gille Poufichet, Jean de Bigars, Thouvenin de Troyes, Jean Euvart, Thomas Bourgeois, Roger Torfou, Geoffroy Trehet, Perrin Prandour, Perrin Gautier, Robin Bouchart, Clément de La Neufville, Guillot Lenoir, Collin Guillart, Jean Hamel, Pierre Gringault, Jean Rayé, Jean Pointlasur, Clément Gouin, Jean Guépin, Perrin Chaulon, Simon Grémont, Pierre le Villain, Jean Choppineau, l'hôpital de Chantelou, l'Hôtel-Dieu de Châtres, le curé de La Norville, le curé de Châtres, Jean Remoulart, Jean Bourdin, Gilles de Souville, Jean de Villemodan, Pierre Belassier, Jean le Roy, Alain Morin, Jean Outin, Huguelin de la Fontaine, Jean Morville, Jean Bonnefille, Gilles Martin, Martin Erost, François de la Croix, Jean Lequeu, Thomas Lamiraut, Jean Tranchant, Simon le Noustre, Jean Gabelot, Denisot Génin, Jean Lemaçon, Jean de Rule, Jean Imbelot, Thomas Brulart, Jean Loytront, Thouvenin la Vaillant et Jean Pourlane.
De 1417 à 1461, les querelles des Bourguignons et des Armagnacs, la guerre contre les Anglais, la famine et la peste causèrent tant de ravages aux environs de Paris que les Chartreux furent pendant ce temps dans l'impossibilité absolue de toucher leurs rentes seigneuriales à La Norville. Lorsque en l'année 1461, le frère Jean de Puissessaud, prieur de Vauvert, voulut faire la visite des terres en la censive de son couvent, il constata avec douleur et stupéfaction que la plupart des champs étaient alors en friches. Le sol ruiné avait été presque complètement abandonné. Couvert de broussailles, il n'avait même plus de propriétaires. Pour remédier à cet état de choses déplorable, le prieur de Vauvert demanda au roi Louis XI d'accorder à son couvent la propriété de ces terres désertes sur lesquelles il avait pu autrefois avoir quelques droits. Le roi accéda à ses désirs. Les Chartreux, après l'obtention des lettres royales, commencèrent les premiers travaux de défrichements. Lorsqu'ils eurent remis à peu près les choses en état, ils cherchèrent à donner à rente les terrains améliorés. Au mois d'octobre 1477, ils reconstituèrent un nouveau terrier indiquant par tenants et par aboutissants les pièces sur lesquelles ils auraient à prélever de nouvelles redevances.
Les champtiers du territoire de La Norville portaient à cette époque, à quelques rares exceptions près, les mêmes noms qu'en 1392. Il n'en était pas ainsi des censitaires. Les familles avaient été bouleversées par les grandes calamités du XIVe et du XVe siècle. Ceux qui prirent à rente les terres des Chartreux ou qui continuèrent peut-être d'anciennes exploitations furent : Clément Fontaine, Colin Vivier, Denis, Jean Guillot et Oudin Jubin, Denis Gille, Jean et Simon Burgevin, Etienne Despaigne, Etienne Chappelain, Etienne Poynet, Guillemin Nocylandre, Jean et Oudin Bizeau, Jean de Boinville, Jean Bouchier, Jean Poirier, Jean de la Boucheré, Jean Baron, Jean de Villiers, Jean Grémont, Jean Morville, Jean Mallegranche, Louis et Pierre Hersant, la confrérie de Châtres, Louis Horquemont, Michelet Gouin, Michel Lefeuvre, Marc et Gille Leureux, Oudin Lemonet, Oudinet Ledour, Pierre Chaussetier, Perrin Prenet, Robin Boutillier, Simonnet Pillas et Thévenot d'Etrechy. Des soixante-quatorze familles dont les terres étaient soumises à la censive des Chartreux, en 1392, six seulement se trouvaient dans les mêmes conditions en 1477.
Les Chartreux de Vauvert étaient à peine rentrés dans une partie de leurs anciennes possessions que Pierre Leprince, seigneur de La Bretonnière et de La Norville, les attaqua en justice pour usurpation de propriétés. Il leur déniait en particulier le droit de donner à rente vingt-quatre arpents de terres en friches, situées sous le Rossay de La Norville, au champtier de l'Aunay-Poille-Villain, près le chemin de Leudeville. Le procès était engagé devant la Chambre des Requêtes à Paris, lorsque, le 4 décembre 1480, Pierre Leprince fit saisir par ses gens et emmena prisonniers au château de La Bretonnière Guillaume Burgevin et Denis Jubin, fermiers des Chartreux, qui cultivaient ces terres. En même temps, il s'emparait de leurs chevaux et de leurs instruments de labour ainsi que de dix-huit cordes de bois arraché au moment du défrichement des biens.
Les Chartreux prirent la défense de leurs fermiers; mais il était difficile d'obtenir justice contre le maître d'hôtel ordinaire de Louis XI. Commencé en 1480, le procès intenté à l'occasion de cette violence ne fut terminé que trois ans plus tard. Le 10 juillet 1483, une sentence fut enfin rendue. La Chambre des Requêtes ordonna au seigneur de La Bretonnière de rendre à Guillaume Burgevin et à Denis Jubin leurs chevaux, juments, harnais, instruments de labour et cordes de bois. Les frais de l'incident devaient être payés par la partie contre laquelle une sentence de condamnations serait prononcée lors du jugement rendu sur le procès principal(18).
Ce jugement définitif tardait à être prononcé. De la Chambre des Requêtes, la cause avait été portée devant la Cour de Parlement. Pierre Leprince et les Chartreux, fatigués de ces luttes, résolurent de transiger; mais, pour arriver à une conclusion, il fallait obtenir du roi l'autorisation de retirer l'instance engagée devant la Cour. Le roi Charles VIII accorda cette autorisation, le 15 mars 1484(19). Le lendemain, les deux partis s'entendirent. Le frère Girard Patin, prieur de Vauvert, agissant au nom de sa communauté, céda à Pierre Leprince les 14 livres parisis de menus cens avec tous les droits seigneuriaux qui pouvaient lui appartenir sur le territoire de La Norville, Pierre Leprince, de son côté, constitua au profit des Chartreux une rente annuelle et perpétuelle de 18 livres parisis à prendre, le jour de saint Rémy, tant sur les 14 livres parisis des cens abandonnées par l'acte de transaction que sur les seigneuries de La Norville et de La Bretonnière.
Après cette convention, les Chartreux de Paris se dessaisirent de tous leurs papiers et titres de propriété entre les mains de Pierre Leprince et, à partir de cette époque, ils n'eurent seulement de rapports qu'avec les seigneurs de La Norville et de La Bretonnière. L'un d'eux, Charles Leprince, ne voulut pas se tenir à la convention de 1484. Deux sentences du Châtelet de Paris, l'une du 6 octobre 1525, l'autre du 18 février 1530, condamnèrent ses résistances. Après le partage de 1601, la terre de La Norville resta seule chargée de la rente de 18 livres parisis. Louis Mercier s'en reconnut débiteur et en passa un titre nouvel, le 3 janvier 1656. Jean-Baptiste Choderlot de La Clos fit une semblable reconnaissance dans l'acte d'achat de la seigneurie en l'année 1682. Peu après cette acquisition, il s'entendit avec les supérieurs généraux de l'Ordre des Chartreux et se libéra en versant une somme assez considérable. Ainsi prirent fin, aux dernières années du XVIIe siècle, les droits des Chartreux à La Norville.
(1) Pièces justificatives, n°16.
(2) Ibid., n°17.
(3) Ibid., n°19.
(4) Ibid., n°18, n°20, n°21 & n°22.
(5) Ibid., n°23.
(6) Ibid., n°24.
(7) Archives du château de La Norville.
(8) Pièces justificatives, n°27 & n°28.
(9) Ibid., n°26
(10) Archives nationales LL439.
(11) Id.
(12) Pièces justificatives, n°33.
(13) Ibid., n°34.
(14) Ibid., n°35.
(15) Ibid., n°36.
(16) Ibid., n°37.
(17) Archives du château de La Norville.
(18) Pièces justificatives, n°38.
(a) Ancienne mesure de capacité qui variait suivant le pays et la matière
mesurée (environ 0,4 l).
(b) Mère-goutte : Vin qui coule de la cuve ou du pressoir avant que
le raisin ait été pressé.
(M.A.J. 28/07/2001)