CHAPITRE VI

Sommaire

Josias Mercier. - Construction du château de La Norville. - Anne Leprince. - Louis Mercier. - La Fronde. - Jacques et Madeleine Mercier.

Josias Mercier fut un homme remarquable dans les lettres et la diplomatie, un des calvinistes les plus influents de son temps. Il était fils de Jean Mercier, cadet de Languedoc, et de Marie d'Allier, fille de Lubin d'Allier, docteur en droit, bailli de Saint-Germain-des-Prés et petite-fille par sa mère de François de Luynes, président au parlement de Paris. Très versé dans les langues grecque, hébraïque et latine, Jean Mercier, auteur de plusieurs traductions et commentaires de la Bible, fut choisi, après la mort de Vatable, en 1546, pour succéder à ce professeur dans sa chaire d'hébreu au collège royal de Paris. Selon de Thou, il savait si bien les quatre langues principales, il travaillait avec une si grande exactitude, il joignait à tout cela un jugement si admirable que l'on se saurait croire avec quel succès il s'acquitta des fonctions de l'enseignement. Mais ce qui relevait singulièrement sa science, c'était sa modestie, sa candeur et l'innocence de ses moeurs.

Amené aux idées de la Réforme, Jean Mercier, qui n'avait point été inquiété en 1652, fut obligé de quitter Paris et la France lorsque la deuxième guerre de religion éclata. Il se retira à Venise. Après la paix de Saint-Germain, il voulut revenir dans sa patrie, mais à son passage à Uzès, sa ville natale, il fut attaqué d'une maladie contagieuse qui ravageait le Languedoc, et il y mourut en 1570. Marie d'Allier, son épouse, lui avait apporté en mariage les seigneuries de Grigny et du Plessis-le-Comte et l'avait rendu père d'un fils né à Uzès et de deux filles. Ces enfants furent rebaptisés à Saint-Sulpice, le 29 octobre 1572. On ne sait si les filles persévérèrent dans la profession de la religion catholique, mais le fils Josias, qui devint seigneur de La Norville, rentra dans le sein de l'église calviniste, où il joua un rôle considérable(1).

L'édit de Nantes, promulgué le 30 avril 1598, avait accordé aux calvinistes la liberté de conscience dans tout le royaume, mais il leur avait interdit de célébrer publiquement leur culte dans un certain nombre de localités. Ils ne pouvaient tenir leurs prêches ni à Paris, ni dans la banlieue. Josias Mercier recueillit l'église calviniste de Paris dans son château de Grigny, où elle fit ses cérémonies jusqu'en 1601. Plus tard, il la reçut dans son château de La Norville. En l'année 1600, eut lieu à Fontainebleau, en présence de Henri IV, la fameuse conférence entre Duplessis-Mornay et le célèbre Du Perron, évêque d'Evreux. Le premier avait écrit contre la messe un livre exclusivement composé de passages tirés des saints Pères et d'anciens auteurs catholiques. L'évêque d'Evreux se fit fort de montrer cinq cents énormes faussetés dans ce livre et proposa au roi d'en faire la preuve en sa présence. Trois juges catholiques et trois juges calvinistes furent proposés et acceptés pour vérifier les textes prétendus altérés. Le 4 mai 1600, l'assemblée se réunit dans une salle du palais de Fontainebleau. Au milieu de la salle était une grande table. Le roi était assis à un des bouts ayant à sa droite l'évêque d'Evreux et à sa gauche Duplessis-Mornay. A l'autre bout étaient les sieurs Pasquier et Vassant que le roi avait choisis pour secrétaires, et Josias Mercier, seigneur des Bordes et de Grigny, que Duplessis-Mornay avait demandé au roi pour l'adjoindre à Pasquier et Vassant. A la première séance, l'évêque d'Evreux démontra péremptoirement que quatorze passages du livre contre la messe, sur dix-huit qui furent examinés, avaient été tronqués ou incompris. Duplessis-Mornay tomba malade au sortir de la réunion, le lendemain il se fit excuser et, quittant brusquement Fontainebleau, se retira, sans que personne ne s'y attendit, dans son gouvernement de Saumur. Cette fuite témoigna du triomphe de l'évêque d'Evreux. Sully déclara que si sa foi n'avait été soutenue que par le livre contre la messe, il se serait immédiatement fait catholique. Le président Dufresne-Cannaïe, juge du côté calviniste, se convertit, Josias Mercier persévéra dans son erreur.

Le choix que Duplessis-Mornay avait fait de lui comme secrétaire dans une circonstance si importante, les services qu'il avait rendus aux calvinistes de Paris, la renommée de son père, ses propres mérites l'amenèrent dès lors a jouer un rôle très actif dans les affaires de son parti. Les calvinistes, excités par leurs ministres et un certain nombre de mécontents, à la tête desquels se trouvait le duc de Bouillon, résolurent de contraindre le roi Henri IV à leur donner de nouvelles et importantes garanties contre les catholiques. Ils rappelèrent au souverain leurs services passés et le menacèrent de prochaines révoltes. En l'année 1600, ils nommèrent des députés qui devaient se réunir à Saumur afin de protester contre certains articles de l'édit de Nantes relatifs aux droits des catholiques en Languedoc. Les églises de l'Ile de France députèrent Josias Mercier à cette assemblée politique. Réunie sans l'agrément du roi, elle reçut l'ordre de se séparer.

Henri IV toutefois accorda aux calvinistes rassemblés l'autorisation d'entretenir à la cour un ou deux députés de leur religion pour y avoir soin de leurs intérêts. Pour faire ce choix, ils obtinrent la permission de convoquer une nouvelle assemblée à Sainte-Foi, en Guyenne, au mois d'octobre de la même année. Dans cette réunion, ils choisirent pour leurs résidents à la Cour le sieur de  Saint-Germain et Josias Mercier, seigneur de Bordes. Contrairement aux ordres du roi, ils firent encore divers règlements par lesquels Henri IV connut la nécessité de veiller sur leurs démarches. C'est dans les premiers temps de cette résidence à la Cour, que Josias Mercier fut nommé conseiller d'état.

En 1603, le duc de Bouillon, chef du parti calviniste, ayant été compromis dans la révolte du maréchal de Biron, passa la frontière. Loin de se tenir en repos, il essaya de fomenter des révoltes en France. A son instigation, les calvinistes, sous prétexte de religion, demandèrent à tenir une nouvelle assemblée générale. Henri IV inquiet accéda à leurs désirs. La réunion eut lieu à Chatellerault, Sully s'y trouva en qualité de commissaire royal. Il s'opposa aux prétentions du duc de Bouillon et sut si bien apaiser les dissentiments et calmer les esprits, que rien ne s'y fit de contraire à l'autorité de Henri IV. Josias Mercier assistait à cette assemblée qui le porta de nouveau sur la liste des candidats à la députation qui devait au nom du parti séjourner à la Cour. Henri IV, ayant été assassiné, en 1610, Louis XIII son fils, encore en bas âge, lui succéda. Les calvinistes voulurent profiter des intrigues qui s'agitaient autour de la régence. En 1611, ils se réunirent à Saumur et Josias Mercier, alors seigneur de La Norville, fut élu secrétaire de l'assemblée. Par leurs instances, ils obtinrent qu'on laissât encore pendant cinq ans entre leurs mains les places de sûreté que Henri IV leur avait accordées.

En 1615, nouvelle réunion des calvinistes à Grenoble. Henri de Bourbon, prince de Condé, mécontent du peu de part qu'on lui donnait aux affaires, était à cette époque en pleine révolte contre la Cour. Une partie de la noblesse s'était jointe à lui contre Concini, maréchal d'Ancre, favori de la reine. A la tête de ses troupes, le prince de Condé avait pris Château-Thierry, puis Epernay. L'assemblée de Grenoble, trouvant l'occasion favorable pour forcer la main au roi, résolut de s'allier au rebelle. Pour trouver un terrain plus favorable à ses intrigues, elle se transporta à Nîmes, puis à La Rochelle. Josias Mercier, seigneur de La Norville, était encore secrétaire de l'assemblée et membre de la commission chargée de dépouiller les cahiers des provinces. C'est lui qui fut choisi avec Du Cluzel et La Noaille pour suivre les négociations entamées avec le parti des mécontents. Après quelques entrevues, un traité d'alliance fut conclu entre Condé et les calvinistes, au camp de Sanzai, le 27 novembre 1613. Ceux-ci joignirent leurs troupes à celles du prince ; le duc de Rohan, leur chef, attaqua plusieurs places et s'en rendit maître. La Cour de son côté se mit sur la défensive. La guerre civile allait éclater de nouveau dans toute sa violence, lorsque au mois de janvier 1616 la paix fut conclue à Loudun. Josias Mercier rentra alors dans la vie privée pour se livrer entièrement à l'administration de ses biens et à des travaux littéraires(2).

Après avoir, au commencement de 1610, acquis par échange de son beau-frère Charles Leprince le lieu seigneurial de La Norville, Josias Mercier se mit en devoir de construire sur son emplacement un habitation digne de son rang de seigneur haut justicier. Sur l'ancien jardin, appelé dans le partage de 1525 le fief de La Norville, il construisit un château comprenant un grand corps de logis à chaque extrémité duquel était élevé un pavillon couvert en tuiles, une cour s'étendait devant l'habitation et le tout était entouré de fossés. Venait ensuite une avant-cour aboutissant à la rue du village et à l'église. Aux coins extrêmes de cette avant-cour, à droite et à gauche, étaient deux pavillons. Un mur s'étendant d'un pavillon à l'autre fermait la propriété. Au centre de ce mur, une porte cochère, bâtie en grès et flanquée de deux tourelles couvertes en ardoises, formait sur la rue l'entrée principale du château. Un colombier à pied, un fournil et des étables bâties d'ancienneté,  un espace de terrain composaient la basse-cour à laquelle attenait un jardin. A côté de ce jardin, était une pièce de vigne de quatre arpents entourée de murs et, derrière le château, un parc de trente arpents, tenant d'une part à des vignes en censive du seigneur et au chemin de Châtres à la Ferté-Aleps, d'autre part à un nommé Michel Brocheroux, d'un bout au chemin de La Ferté et d'autre aux fossés du château.

Avec la haute, moyenne et basse justice, qui lui donnait droit de bailliage et de tabellionnage et celui d'avoir bailli, procureur fiscal, greffier, tabellion, sergents et autres officiers de justice, défauts, amendes, confiscations et déshérences, Josias Mercier avait encore un droit de forage qui lui permettait de prendre deux pintes par muid de vin vendu au détail, et un droit de rouage qui lui permettait de percevoir quatre deniers de redevance par chaque charretée de vin enlevée de La Norville. En 1617, le forage de quinze poinçons de vin rapportait au seigneur 66 sols 6 deniers tournois ; en 1621, le forage de vingt-deux muids 3 livres 40 sols tournois.

Josias Mercier fit quelques achats et échanges pour augmenter son domaine. A sa mort, arrivée le 5 décembre 1626, il possédait à La Norville et environs, en dehors du château, de la basse-cour, du parc et des droits féodaux, le pressoir situé en face l'église, une ferme à La Bretonnière, 44 arpents 33 perches de terres labourables, 37 arpents 50 perches de bois, 14 arpents 5 perches de pré, 4 arpents de vigne, 66 livres tournois de cens et 25 sols de rente sur La Gallanderie, 16 poules sur plusieurs maisons de La Norville, 4 deniers sur la maison du Petit-Cochet, 10 sols 8 deniers de cens sur 120 arpents de terre dépendant autrefois de la ferme de la Maison-Rouge, 20 sols 5 deniers de cens sur une maison et 43 arpents de terre appartenant au seigneur de Brétigny et au sieur de Gorrys, 100 livres de diverses rentes à La Norville, à La Bretonnière et aux environs, le droit de pêche sur la boelle de l'Ecorchoir jusqu'au moulin de Falaise, le droit de pêche commun avec les seigneurs de Châtres et de La Bretonnière sur la rivière d'Orge, depuis le moulin de Falaise jusqu'au moulin de Franchereau, et la mouvance de huit fiefs non compris la seigneurie des Granges et ses dépendances(3).

De son mariage avec Anne Leprince, Josias Mercier avait eu huit enfants,
- Anne, née en 1602, mariée en 1623, au célèbre Claude de Saumaise ;
- Charles, né le 7 décembre 1604, qui eut pour parrain Henri de Rohan et pour marraine Camille Morel ;
- Thimothée, né le 6 mars 1606, qui fut présenté au baptême par Thimothée Piédefer, seigneur des Mares et par Judith de Martine ;
- Louis, qui devint seigneur de Grigny et de La Norville ;
- Marie, née en 1612, épouse de Jean Rabault seigneur de Matheflon;
- Marguerite, femme, en 1654, de Simon Le Maçon, seigneur d'Eispiesses;
- Jérôme, né en 1618,
- et Geneviève, née en 1621.

On a de Josias Mercier un certain nombre d'ouvrages :
Aristenoeti epistolae grecae cum latina interpretatione et notis ;
Nonii Marcelli de proprietate sermonum nova editio. Accedit libellus Fulgentii de prisco sermone. Au jugement de Colomiés, Mercier a divinement corrigé le livre du grammairien latin qu'il a enrichi de notes. C'est son principal ouvrage ;
Dictys cretensis de bello Trojano et Dares Phrigius de excidia Trojae - additae sunt ad Dictym notae ;
Apulei liber de Deo Socratis - Josias Mercerius e libris manuscriptis recensuit et notas adjecit.

On a aussi de lui un éloge de Pierre Pithou, quelques lettres publiées dans le recueil de Goldast, d'autres à Casaubon et à Dousa conservées au British Museum; enfin, on trouve au département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, outre une copie de la discipline ecclésiastique écrite entièrement de sa main (ancien fonds français, 7892-5), deux manuscrits que le catalogue lui attribue intitulés, l'un : Proelectiones ad titulum de Usuris (ancien fonds latin, n° 4,504), l'autre : Adversaria (ibid. 8,708, 8,740). Selon Colomiès, Mercier avait annoté Tacite. Ces notes ne se retrouvent pas, non plus que les annotations qu'il avait faites sur Tertullien, au rapport de la Biographie universelle.(4)

Les écrivains protestants accordent de grandes louanges aux talents et au savoir de Josias Mercier. Colomiès estime que, de tous les critiques de son temps, il est celui dont les conjectures sont les plus certaines. D'autres lui attribuent, comme à son père, une grande modestie, une grande candeur et une grande innocence de mœurs. Entre autres avantages considérables, il eut celui d'être le neveu de la célèbre Camille Morel qui, à l'âge de douze ans, composa des vers grecs et latins sur la mort de Henri II, et le beau-père du savant Claude de Saumaise, l'une des gloires de l'église protestante. Nul doute que le talent de cet écrivain n'ait jeté quelque éclat sur le seigneur de Grigny, des Bordes, du Plessis-le-Comte et de La Norville ; mais l'alliance qu'il contracta avec Josias Mercier, en épousant sa fille, ne fut pour lui qu'une source de querelles et d'épreuves domestiques. Anne Mercier était pour son mari une autre Xantippe. C'était, dit Saumaise lui-même,une femme qui voulait être persuadée plutôt que forcée. D'un caractères rude et impérieux, elle ne cherchait jamais à venir à le soutenir dans ses épreuves. En Hollande, où il fut en butte aux tracasseries des membres de l'académie de Leyde, il eut pour aviver les blessures faites à son amour-propre les plaintes et les reproches continuels de sa femme. Froissée dans sa susceptibilité pour une question de préséance, elle ne voulut jamais accompagner Saumaise dans les cérémonies publiques et ne cessa de le harceler tant qu'il n'eut pas obtenu de Mazarin le titre de conseiller d'Etat que, pour rester libre, il n'avait pas voulu recevoir des mains de Richelieu. Tous ces déboires irritèrent Saumaise au point qu'il finit par prendre en haine deux de ses amis, La Milletière et Didier Hérault, qui s'étaient plus spécialement entremis pour son mariage. Anne Mercier mourut à Paris en 1657(5).

Après la mort de Josias Mercier, sa veuve Anne Leprince resta pendant une quinzaine d'année à la tête des seigneuries de La Norville, des Bordes, de Grigny et du Plessis-le-Comte, jusqu'à la majorité de ses nombreux enfants. Le 18 janvier 1627, elle fit rendre un aveu et dénombrement au roi pour la seigneurie de La Norville par son fils aîné Charles, écuyer, seigneur de Grigny, âgé seulement de vingt-trois ans. Suivant l'ancien cérémonial, dont son bisaïeul maternel Pierre Leprince, avait été dispensé sous Louis XI, Charles Mercier se transporta devant la principale entrée du château de Montlhéry, et là, en état de vassal, la tête nue, sans épée, sans ceinture et sans éperons, un genou en terre, appela le roi à haute voix et à trois reprises différentes, demandant à rendre sa foi et son hommage et à prêter serment de fidélité. Le procureur du roi se présenta en l'absence du souverain et Charles Mercier remplit en sa présence tous ses devoirs de sujet dont l'omission aurait entraîné la saisie de ses biens.

Anne Leprince, pendant son administration, acheta dans le courant de l'année 1630 plusieurs pièces de terre au Rossay et au fossé de Rome, et une petite maison, près de l'église, à côté de l'ancien presbytère. En 1634 et 1637, elle reçut les déclarations de censitaires au nombre desquels se trouvaient les marguilliers de la confrérie du Saint-Sauveur à Châtres, les administrations de la maladrerie et ceux de l'Hôtel-Dieu de la même ville, les marguilliers de l'église de Marolles, les chantres et chapitre de l'église Saint-Merry, de Linas.

En 1638, le 26 novembre, elle vendit, tant en son nom qu'en celui de Geneviéve Mercier, sa fille mineure dont elle avait la garde noble, et en celui de Louis Mercier, seigneur de La Norville, son fils émancipé d'âge, à son neveu Henri-Antoine Leprince, gentilhomme de la reine mère, seigneur de La Bretonnière, la ferme de ce lieu, consistant en bâtiments et une pièce de terre, entre le château et le chemin de La Bretonnière à Guibeville, le droit de seigneurie, censive et justice sur les maisons et héritages situés à main gauche en montant de la chaussée Marin Boisseau à la petite porte de l'enclos du sieur Galland, le droit de relief, domination et féodalité sur le fief de Cochet ou des Bois-Défendus, les droits de censives à prendre au hameau du Mesnil, paroisse de Brétigny, les rentes tant foncières que d'autre nature constituées sur deux maisons à La Bretonnière, le droit de domination, féodalité sur le fief de Vallorge, près Brétigny, pour la somme de 3,400 livres tournois, la cession du bois du Petit-Rossay, avec le droit de haute, moyenne et basse justice sur cette propriété. Par cette vente, les seigneurs de La Norville abandonnèrent le reste de leurs droits sur La Bretonnière et dès lors la séparation des deux terres fut complète et subsista sans aucun empiétement.

Louis Mercier, écuyer, troisième fils de Josias Mercier et d'Anne Leprince, était en possession de La Norville au mois de juillet 1642. C'est de son temps que le pays et la seigneurie eurent à souffrir des troubles de la Fronde arrivés pendant la minorité de Louis XIV.

Le prince de Condé, mécontent de la reine mère et de Mazarin, avait résolu, en l'année 1631, de fomenter en France la guerre civile pour renverser le cardinal ministre et s'emparer du pouvoir. Parti de Chantilly au mois de septembre, il s'était rendu au centre de la France où il avait trouvé des alliés. Il avait en peu de temps réuni une armée et marché contre les troupes que la Cour avait envoyées pour le combattre sous le commandement de Turenne. Les deux partis s'étant rencontrés, une bataille se livra à Bléneau, près de Gien. Le prince de Condé se jeta sur la cavalerie royale commandée par le maréchal d'Hocquincourt et la dispersa. Turenne vint au secours du maréchal avec son infanterie. Grâce à ce secours, la cavalerie put se rallier et tenir tête à ses adversaires dans une position avantageuse. Aussitôt après cette victoire partielle, Condé plein d'espoir, quitta son armée et se hâta d'accourir à Paris pour publier son succès et soulever le peuple. Il avait donné à ses troupes l'ordre de le rejoindre pour seconder le mouvement.

A la nouvelle du départ de Condé, Turenne et d'Hocquincourt, devinant les intentions du prince, abandonnèrent leur position de Bléneau, se dirigèrent rapidement sur la Ferté-Aleps, traversèrent cette petite place, et vinrent établir leurs troupes sur la grande route d'Orléans, entre Etampes et Paris, afin de couvrir à la fois la capitale et la Cour arrivée à Corbeil après avoir quitté Sens et Melun. Pour centre de leur campagne, ils choisirent la ville de Châtres et étendirent leurs troupes sur les hauteurs voisines, depuis Montlhéry jusqu'à Torfou. Les soldats de Turenne arrivèrent à La Norville le 24 avril 1652. Ils campèrent dans cette localité jusqu'au 3 mai. Pendant ce temps, les lieutenants de Condé avaient marché sur Paris, mais, déconcertés par la rapidité des mouvements de Turenne, ils n'avaient pas osé dépasser Etampes et tenaient leurs forces en repos dans cette ville. Ils attendaient le résultat des intrigues de leur général, lorsqu'ils apprirent que Mlle de Montpensier, ennuyée du séjour d'Orléans, devait venir les trouver dans le but de se rendre ensuite elle-même à Paris. Les généraux de Condé voulurent recevoir avec de grands honneurs l'héroïne de la Fronde et firent de superbes préparatifs. Turenne et d'Hocquincourt, avertis de ce qui se passait à Etampes, résolurent de surprendre l'ennemi. Dans la nuit du 3 mai, ils partirent de Châtres et parurent bientôt sur les hauteurs qui dominent la ville du côté d'Etrechy. Les rebelles sortaient d'une joyeuse revue. Attaqués auprès de leurs retranchements dans le désordre d'une fête, ils éprouvèrent une déroute complète et perdirent plus de 3000 hommes. Turenne aurait voulu s'emparer d'Etampes, mais, manquant de canons pour en faire le siège, il regagna son campement de Châtres où il séjourna encore pendant deux jours. Ensuite il se rapprocha de Paris et s'établit à Palaiseau et à Antony.

Dans ces expéditions, les troupes royales et les troupes de Condé s'étaient livrées à de grandes désordres. Elles avaient traité les campagnes en pays ennemi. A La Norville, par crainte des gens de guerre, on avait fait transporter à Paris les meubles, le linge et les ornements de l'église, et les habitants n'eurent qu'à se louer de leur prudence. Les soldats brisèrent les portes, une partie des fenêtres et le carrelage de l'église et de la sacristie. Le reste du pays et le château furent livrés au pillage et, après leurs départ, les troupes laissèrent une misère si grande qu'une terrible peste se déclara bientôt dans les pays compris entre Etampes et Paris. Trente personnes moururent à La Norville, et, à cause de cette mortalité et de la pénurie générale, les marguilliers crurent devoir suspendre pendant trois mois les quêtes à l'église(6).

Louis Mercier, seigneur de La Norville, avait habité pendant ces troubles le château de Grigny, sa résidence ordinaire. Lorsque les temps furent devenus meilleurs, il s'occupa plus activement de son domaine. Bien que calviniste, il n'hésita pas à entrer en pourparlers avec les religieuses de l'Hôpital et du couvent royal de Saint-Eutrope-les-Chanteloup, pour obtenir d'elles quelques avantages pour sa terre. Il fut sans doute encouragé dans ses démarches par la présence dans la communauté de deux de ses proches parentes. Sa cousine germaine Marie-Madeleine Leprince, sœur de Antoine Leprince, seigneur de La Bretonnière, était mère Ancelle, c'est-à-dire supérieure du couvent. Sa sœur Charlotte Leprince y était religieuse professe. Grâce à l'influence de ces religieuses, qui vivaient à Saint-Eutrope en compagnie de professes issues des familles nobles des de Vize, de Carnezet, de Genton, de Montrouge, d'Aumont, de Guigy, de Machault, de Savary, Louis Mercier put obtenir, le 7 septembre 1657, la cession d'un certain nombre de cens seigneuriaux portant lods et ventes, saisines et amendes que la communauté avait le droit de percevoir sur plusieurs héritages situés dans l'étendue de la justice et paroisse de La Norville. en retour, il céda aux religieuses cinq livres tournois de rente annuelle sur une maison, cour et jardin sis à Linas, rue du Carouge. Il acheta encore un certain nombre de propriétés : un quartier et sept quartes de vigne au Rossay, un demi-quartier de pré dans la prairie d'Ollainville, un quartier de terre entre les deux Rossays.

En 1671, Louis Mercier rendit un aveu et dénombrement de sa seigneurie. Il mourut vers l'année 1673. De son mariage contracté, en 1648, avec Madeleine Bigot, fille de Jacques Bigot, contrôleur général de l'extraordinaire des guerres, et de Madeleine du Candal, il avait eu deux filles : Madeleine et Anne-Marguerite, et deux fils : Josias-Louis, né en décembre 1656, et Jacques, né en l'année 1657.

A sa mort, deux seulement de ces enfants, Madeleine et Jacques étaient encore vivants. Jacques se convertit au catholicisme en 1673. Il avait alors seize ans. Le 28 mars 1674, émancipé d'âge et jouissant de ses droits sous l'autorité de Henri-Antoine Leprince, chevalier, seigneur de La Bretonnière, son curateur, il rendit aveu et hommage au roi pour raison de son fief de La Norville, Mondonville et dépendances tant en son nom propre qu'au nom de sa sœur Madeleine Mercier, aussi émancipée d'âge et jouissant de ses droits sous l'autorité d'Isaac Bigot, écuyer, seigneur de Morogues, son curateur.

En 1677, le bailli de La Norville rendait la justice au nom de Jacques Mercier. Toutefois, il n'avait pas encore été procédé entre sa sœur et lui au partage des biens laissés par les défunts Louis Mercier et Madeleine Bigot. Ceux-ci étaient morts avant Jacques Bigot et Madeleine du Cantal, leur père et mère. Madeleine Mercier, mariée en 1679, à Henri Muisson, seigneur de Bailleul, avait, on ne sait pour quelles raisons, vendu à son oncle Pierre Bigot, écuyer, seigneur de Saint-Pierre, conseiller du roi et contrôleur des gardes suisses de Sa Majesté, non seulement ses droits à la succession de son père. Les raisons qui la déterminèrent à cette vente furent aussi probablement celles qui furent remettre le partage avec son frère. Pierre Bigot mourut, et ce fut sa veuve, Anne Bidé, chargée de la garde noble de ses enfants, qui partagea avec Jacques Mercier la succession des Bigots et des Mercier, seulement le 4 novembre 1681, après une vacance des biens qui dura huit ans.

A Jacques Mercier échurent les seigneuries de Grigny et de La Norville. Cette dernière comprenait : la maison seigneuriale et son enclos fermé partie de murs, partie de fossés et de haies vives d'une contenance de 26 arpents de terres, d'un arpent 64 perches de vignes, de 20 perches et demi de friches et de 4 arpents et demi de bois; 24 arpents 75 perches de terre labourables; 21 arpents 2 perches de pré; 43 arpents 68 perches de bois; la haute, moyenne et basse justice; le greffe, le tabellionnage, les droits de rouage et de forage, le droit de pêche dans la rivière d'Orge; 50 livres de censives à prendre tant à La Norville qu'à Châtres et Avrainville; 9 poulets et un chapon; les fiefs de Varennes, de Videlles, de Viviers, de Voisins le Bretonneux, de la Lance, du Bois de Presle; le fief des Granges et ses dépendances : le fief d'Echainvilliers, les dîmes de Ragonnant, la Vacheresse, le tout estimé 41,379 livres 7 deniers.

Jacques Mercier mourut peu après ce partage. Sa sœur Madeleine Mercier recueillit sa succession et, le 8 janvier 1682, la céda à messire Jean-Baptiste Choderlot de La Clos, valet de chambre du roi, trésorier des guerres de la Franche-Comté, pour la somme de 40,000 livres. Madeleine Mercier sortit de France à la révocation de l'édit de Nantes, en 1685. En 1687, elle était veuve de Henri Muisson, en son vivant seigneur de Bailleul, conseiller secrétaire du roi, audiencier en la chancellerie de Paris, et mariée en secondes noces à Nicolas de Montceaux, chevalier, seigneur de l'Etang, maître de camp d'un régiment de cavalerie. Elle fut la dernière des Leprince unis aux Mercier qui posséda La Norville. Ces familles étaient demeurées, pendant plus de deux cents ans, à la tête de la seigneurie. Les Mercier portaient en leurs armes trois chardons bénits d'argent en champ de sinople écartelé de besants d'or en champ de gueules.

(1) HAAG, La France protestante.
(2) HAAG, La France protestante. - DANIEL, Histoire de France.
(3) Archives du château de La Norville.
(4) HAAG, La France protestante.
(5) Id.
(6) Archives de l'église.

(M.A.J. 19/08/2001)

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