Fiefs à La Norville au XIIIe siècle. - Les seigneurs de Ballainvilliers. - Les seigneurs de Gravelles. - Fiefs dépendant du roi.
Il y avait à La Norville au commencement du XIIIe siècle un fief mouvant des seigneurs de Ballainvilliers et un autre mouvant des seigneurs de Gravelles. Les possesseurs de ces fiefs prenaient également le nom de La Norville de manière qu'il est assez difficile de les distinguer entre eux. Il est cependant possible de donner la suite de ces seigneurs, ou du moins la suite des personnes nobles qui, en second rang, possédaient ces fiefs sous les premiers maîtres : les de Gravelles et les de Ballainvilliers.
En 1203, au mois d'avril, on trouve dans le grand pastoral de l'église de Paris(1) un acte passé devant l'évêque Odon de Sully, par lequel Renaud du Plessis et Marguerite, son épouse, engageaient pour 20 livres parisis à la Chapellenie de Sainte-Marie de Corbeil la dîme du blé qu'ils avaient à La Norville, leurs hotisses et leurs censives, avec l'autorisation de la dame de Ballainvilliers de qui toutes ces choses étaient mouvantes. Philippe de Saint-Vrain et Hugues, son fils, témoins de cet engagement, se portèrent garants de son exécution. Renaud, dont il est ici parlé, était probablement seigneur du Plessis-Saint-Père qui, à cette époque, formait un fief dépendant de Ballainvilliers(2).
Marguerite, son épouse, était fille d'un seigneur de La Norville. En effet, dans un acte du mois de décembre 1225, passé devant l'abbé de Saint-Victor, elle est appelée Marguerite de La Norville. Renaud du Plessis était mort à cette date, et Marguerite avait épousé en secondes noces Reginald de Garancières, chevalier. De son premier mariage, elle avait eu un fils, Henri, et deux filles, Liesse et Ysabelle. Ces deux filles se marièrent : la première, à Pierre de Valenton, écuyer ; la seconde, à Philippe de Garancières, chevalier(3).
En 1234, les deux sœurs, avantagées déjà par leur mère, qui précédemment leur avait cédé du consentement de son époux et de son fils la dîme du blé de La Norville, partagèrent entre elles, par-devant Guillaume, évêque de Paris, l'héritage du défunt Renaud du Plessis, leur père. La terre de La Norville échut à Pierre de Valenton et à Liesse, le reste des biens à Philippe de Garancières, à Ysabelle, son épouse, et à Marguerite, leur mère(4).
Dix ans plus tard, la même Marguerite confirma, devant l'official de Paris, une donation par contrat de mariage qu'elle avait faite à Pierre de Valenton et à Liesse de toute la censive qu'elle possédait à La Norville et aux environs sur les vignes, prés, terres, maisons et autres possessions, à titre d'héritage personnel, et cette confirmation fut signée de Philippe de Garancières, d'Ysabelle, sa femme, et de Jean, leur frère(5).
En dehors de ces possessions concédées à Liesse, Marguerite conserva d'autres droits à La Norville. Au mois de mars 1254, elle donna, à titre de pure et perpétuelle aumône, aux religieuses de Villiers, toute la dîme venant de ses propres qu'elle possédait à La Norville, près de Châtres(6).
En 1245, on voit reparaître le nom de Ballainvilliers, Pétronille de La Norville avait donné aux religieuses de Villiers une dîme à prendre sur le territoire de La Norville et lieux circonvoisins; Agnès de Sainville et Guillaume, son fils, avaient donné aux mêmes religieuses 60 arpents(a) de terre, 20 sols parisis de menus cens, une pièce de vigne, un manoir entouré d'un verger relevant de la dîme de Pétronille. Ces donations furent approuvées et concédées en cette année par Guillaume de Ballainviliers(7) ; ce qui fait croire que cette Pétronille de La Norville était fille et héritière de Pierre de Valenton et de Liesse, puisqu'à ceux-ci étaient échus, en 1234, les biens et les dîmes de Renaud du Plessis à La Norville qui relevaient, en 1203, de la dame de Ballainvilliers.
Pétronille de La Norville eut deux filles : Odeline qui épousa Guillaume, chevalier, seigneur de Denonville, au diocèse de Chartres, et Marguerite qui épousa Jean de Tigery, également chevalier, habitant au diocèse de Paris. Ceux-ci, au mois de décembre 1250, donnèrent leur consentement à la donation faite par leur mère et par Agnès de Sainville, et se portèrent forts aussi du consentement des enfants de Guillaume de Ballainvilliers et de Guillard de Lers, époux de Jeanne, soeur du dit Guillaume, premiers maîtres du fief des choses concédées(8).
A partir de cette époque, on ne voit plus paraître les seigneurs de Ballainvilliers ; mais, en 1257, on trouve le nom d'Odeline, veuve de Guillaume de Denonville, et celui de son fils Guillaume, écuyer(9) ; plus tard, en 1282, les noms de Pernelle et Jeanne de Denonville, religieuses de Villiers, d'Ysabelle de Denonville, leur soeur, épouse de Renaud Frangeville, écuyer, et le nom de Pierre de Denonville, écuyer, leur cousin(10).
Renaud de Frangeville et son épouse Ysabelle firent avec Pierre de Denonville, le vendredi d'après l'octave de la Chandeleur, 1282, un partage volontaire des terres et cens qu'ils possédaient par indivis à La Norville et aux environs, principalement au moulin de Fourcon. Les terres, les marcs du pressoir et les rouages échurent à Pierre de Denonville; les cens de La Norville, qui montaient à 13 livres 14 sols parisis par an, tenus en fief du roi, échurent à Renaud de Frangeville. Celui-ci se retira dans sa terre de Frangeville, au pays rémois, après avoir vendu, avec l'autorisation de Philippe le Hardi, roi de France, son cens de La Norville aux religieux chartreux de Vauvert, près Paris. Pierre de Denonville demeura en possession de ses héritages(11).
Au mois de juillet 1309, le roi Philippe le Bel, par une charte datée de Viviers-en-Brie et contresignée Enguerrand, accédant aux demandes de Guillaume de Denonville, chevalier, lui amortit 7 livres 12 sols 4 deniers parisis de cens qu'il avait à La Norville, près Châtres, sous Montlhéry ; 7 droitures, chaque droiture comprenant 1 septier d'avoine de rente annuelle, le champart de 24 arpents de terre et 1 arpent et demi de vigne, l'autorisant à vendre, aliéner, donner ces possessions à toutes personnes religieuses, ecclésiastiques et séculières, à les conserver pour lui et ses héritiers en l'exemptant de payer les impôts qui pourraient être dus à la Couronne, pour les cens amortis de sa seigneurie(12).
A la même date, comparurent devant Pierre le Bon, enfant, prévôt de Montlhéry, les habitants de Châtres, de La Bretonnière, d'Egly, de Marolles ; Thomas et Adam Bertaut ; Denise, veuve de Pierre Guerre à pain ; Hélouys, veuve de Adam Guerre à pain ; Oudin Gervais, de Mondonville ; Guillaume Poilevillain, écuyer ; Perrot Mignot ; Jehan Lambert ; Martin de Chériens, prêtre ; Jacqueline La Bouvière et Guyot, son fils. Ansel Estramart ; Jehan du Buisson ; Thomas de Courcouronne ; Perrenelle de Villeneuve ; Jehan et Thomas Bouvier, de La Norville, qui possédaient des vignes sur le territoire de Mondonville et de La Norville. Chaque année, les marcs de ces vignes devaient être portés au pressoir de Guillaume de Denonville, chevalier, seigneur de Fourcon, de Edeville et de La Norville. Celui-ci affranchit les vignes de cette servitude moyennant un cens annuel de 4 sols parisis par arpent, payables au jour de la Saint-Martin d'hiver. Dans cette audience, les habitants ci-dessus nommésé jurèrent à Châtres sur les saints évangiles, en présence du prévôt, d'acquitter désormais les cens suivant cette convention(13).
A partir de cette époque, on ne voit plus paraître le nom des Denonville ; mais, en 1320, on retrouve celui des de Tigery. Ceux-ci étaient sortis de la même souche que les Denonville. Ils avaient eu pour mère Pétronille de La Norville et avaient conservé des biens au lieu de leur origine. Longtemps une partie du territoire de La Norville fut appelée La Tigerie. De plus, ils avaient entretenu des relations avec leurs cousins les Denonville. Un nommé Aufran de Tigery était présent, en 1283, lorsque Thibout, prévôt de Montlhéry, alla chercher à Frangeville, chez Renaud, seigneur de ce lieu et Ysabelle de Denonville, sa femme, leur consentement définitif à la vente du cens qu'ils avaient consentie aux Chartreux de Paris.
Le premier dimanche après Pâques de l'an 1320, Jean, prévôt d'Etréchy, écuyer, fit une vente aux religieuses de Villiers des droitures, dîmes, cens, corvées, leurs appartenances et dépendances, sises à La Norville, mouvant en fief du roi. Sur toutes ces choses, Isabeau de Tigery avait à percevoir certains droits sa vie durant à titre de douaire. Ces droits furent réservés dans l'acte de vente(14).
Plus tard, en 1366, Jean le Breton, seigneur de La Bretonnière, rendant, à cause de son hôtel de La Norville, un aveu au roi Charles V, énumérait, dans son dénombrement, cette maison de La Norville et un certain nombre d'arpents de terre en déclarant que toutes ces choses avaient été jadis à feu Isabeau de Tigery. La seigneurie de La Norville ayant été réunie à celle de La Bretonnière depuis Jean le Breton jusqu'en 1610, il est évident que l'ancien lieu et manoir seigneurial, par conséquent l'emplacement du château actuel, ont appartenu au commencement du XIVe siècle et pendant le XIIIe siècles à la famille des de Tigery, à Pétronille de La Norville et à Renaud du Plessis, originairement sous la dépendance des seigneurs de Ballainvilliers.
Les seigneurs de Gravelles tiraient leur origine d'une ancienne maison d'Auvers Saint-Georges, aux environs d'Etampes. Dans ce village il y avait deux paroisses et deux seigneuries. L'une, celle de Gravelles, était composée de trois fiefs : la Tour d'Auvers, Thivioun et la Grange des Bois. Un seigneur de cette maison nommé Hugues avait, au XIIe siècle, la jouissance de la seigneurie de Montlhéry, probablement comme engagiste. Ce fut sous lui, au témoignage des seigneurs inscrits au commencement du registre dressé par Philippe-Auguste portant dénombrement des fiefs dépendant de Montlhéry, que cette châtellenie perdit plusieurs villages tant du côté d'Etampes que du côté de Corbeil et de Paris. Pour récompenser les services de Hugues de Gravelles, ou peut-être pour rentrer en possession du fameux château fort qui avait tenu si longtemps Paris en échec, les rois accordèrent à ce dernier des terres aux environs de Montlhéry et en particulier à La Norville. La suzeraineté de cette famille fut ainsi établie au XIIIe siècle sur un certain nombre de propriétés dans cette localité.
En 1216, Gui de La Norville, chanoine d'Orléans, engagea devant Pierre, évêque de Paris, à l'église Saint-Vincent de Linas, toute sa dîme de La Norville, pour la somme de 400 livres parisis, du consentement de Robert de Gravelles, son neveu, de qui cette dîme était mouvante.
Plus tard, en 1231, à propos de la même dîme, sont mentionnés au grand pastoral de l'église de Paris les noms de Guillaume de Gravelles, chevalier, et d'Ansel du même nom, neveux de Gui le chanoine, qui se portaient caution pour leur oncle. Dans le même acte, Guillaume de Gravelles, écuyer, et Henri de La Norville, chevalier, étaient dénommés celui-là premier maître et celui-ci second maître du fief des dîmes aliénées alors au chapitre de Notre-Dame.
Le Guillaume de Gravelles, chevalier, neveu du chanoine, parut encore, au mois de mai 1246, pour terminer un différend survenu entre le chapitre de Paris et les maîtres de fief à propos de la dîme en question; mais, dans cet acte, il est nommé seigneur d'Echarcon, ce qui laisse supposer qu'il n'habitait plus La Norville.
L'autre Guillaume de Gravelles, écuyer, premier maître du fief des dîmes, avait trois frères : Jean, Robert et Réginald de Gravelles. D'un premier mariage avec Eremburge, il avait eu deux filles : Agnès, plus tard épouse de Thibaut de Tignonville, et Jeanne, qui épousa dans la suite Pierre, frère de Thibaut. D'un second mariage avec Jeanne, il eut une fille nommée Euphémie. En parlant de la dîme du chapitre de Notre-Dame, nous reviendrons sur ces seigneurs brouillons et querelleurs à l'excès qui furent excommuniés, en 1245, par le pape Innocent IV, alors au concile de Lyon(15).
En 1256, un Jean de Gravelles ou de La Norville possédait, dans cette paroisse, un fief qu'il avait hérité de son père(16). En 1257, on trouve encore un René de La Norville.
A partir de cette époque, on ne fait plus mention dans les archives de la famille des de Gravelles. Les Tignonville se retirèrent dans leur seigneurie, aux environs d'Etampes, près de Méréville. Ils y demeurèrent jusqu'en 1630, époque à laquelle la terre de Tignonville passa dans la famille des Prunelé(17).
Les de Gravelles vendirent-ils leur fief au roi ? S'allièrent-ils aux autres La Norville ? Leurs propriétés, par suite de contrats de mariage, de vente ou autres passèrent-elles aux mains de Jean, prévôt d'Etréchy, écuyer, qui vivait à La Norville en 1320, ou bien en celles de Guillaume Poilevillain, écuyer, résidant en cette localité au commencement du XIVe ? Furent-elles acquises par les seigneurs de La Bretonnière qui, au XIIIe siècle, avaient de nombreuses possessions à La Norville ? Les documents existants laissent le champ libre à toutes les suppositions. Toutefois, il est bon de remarquer que Guillaume Poilevillain, écuyer, dont le nom vient d'être prononcé, eut une certaine notoriété à La Norville.
En 1309, il promit avec serment aux assises de Châtres, devant le prévôt de Montlhéry, d'observer la convention passée avec Guillaume de Denonville, dont il a déjà été parlé, à cause de deux arpents de vigne qu'il possédait au vignoble dépendant de ce seigneur. En 1328, il échangea avec les religieuses de Villiers 4 sols 11 deniers parisis de redevance annuelle sur deux arpents de terre avoisinant sa maison, près le chemin de Cheptainville, pour les droits qu'il avait à percevoir sur deux maisons et le pressurage d'un quartier de vigne, sis à la fontaine naude, appartenant aux religieuses. Une portion du territoire de La Norville, aux environs du bois actuel des jones, porta son nom jusque vers 1789. Elle s'appela, pendant le XIVe siècle, la Couture Poilevillain; dans le XVe et le XVIe, l'Aunay Poilevillain; et dans les derniers temps, par corruption le Champtier Poile-Allain(18).
Dans le temps qu'à La Norville un certain nombre de possessions dépendaient des de Gravelles et des de Ballainvilliers, d'autres relevaient directement du roi. Dans le cartulaire de Philippe-Auguste, qui régna de 1180 à 1223, parmi les noms de ceux qui tenaient de ce prince des fiefs dans la châtellenie de Montlhéry, on trouve celui de Gui de La Norville. Il était un homme lige du roi et tenu, à cause de ses possessions, à la garde de la forteresse pendant deux mois; de même un nommé Thomas Chairmaigre pour ce qu'il possédait à La Norville et pour ce qui lui revenait de son père dans le ville de Châtres(19).
Au mois de mars 1231, Henri et Thomas de La Norville, chevaliers, vendirent au chapitre de Notre-Dame de Paris un manoir entouré de deux arpents de terre, pour la somme de 51 livres parisis. Cette vente eut besoin d'être confirmée non seulement par Marguerite et Comtesse sa sœur, filles de défunt Gui de La Norville, non mariées à cette époque, mais encore par le roi de France qui leur avait donné en fief ce manoir dans la châtellenie de Montlhéry(20).
Le voisinage du roi fut sans doute nuisible aux de Gravelles et aux de Ballainvilliers. L'autorité royale s'affermissant de plus en plus, chercha, surtout au temps de saint Louis, à évincer autant que possible les grands seigneurs et à diminuer leur puissance autour de Paris. A La Norville, comme dans beaucoup d'autres localités, les premiers maîtres de fiefs particuliers disparurent pour faire place au souverain. A partir de 1250, le roi est le seul maître dans cette région ; les seigneurs ne dépendent plus que de lui. Cet état de choses, certain sous Renaud de Frangeville et Jean d'Etréchy, devient évident par des documents inattaquables, en 1366, sous Jean le Breton, seul seigneur à peu près incontesté de La Norville et de La Bretonnière, sous l'autorité immédiate du roi.
(1) Pièces justificatives, n°6.
(2) LEBOEUF.
(3) Pièces justificatives, n°7 & n°8.
(4) Id., n°8
(5) Id. n°9
(6) Id., n°12.
(7) Id., n°10.
(8) Id., n°11.
(9) Id. n°13.
(10) Id., n°32 & n°35.
(11) Id., n°33 & n°34.
(12) Id., n°5.
(13) Archives nationales, S, 6397, n°21.
(14) Pièces justificatives, n°15.
(15) Id., n°20, n°21, n°22, n°23 & n°24.
(16) Id., n°38.
(17) Dom FLEUREAU, Antiquités d'Etampes
(18) Archives du château de La Norville.
(19) LEBOEUF.
(20) Pièces justificatives, n°29.
(a) Un arpent = 35 à 50 ares selon les localités.
(M.A.J. 19/08/2001)