L'ETAT CIVIL ANCIEN DE LA NORVILLE
par Denis PETIT

Sommaire

Le terme « Etat-Civil » est évidemment impropre car il concerne un « Etat Religieux » des paroissiens ou « Baptêmes - Mariages - Sépultures » - en abrégé B.M.S. - débutant en 1597 à La Norville se terminant par un acte de clôture le cinq Décembre 1792. Cet acte marque donc ici la naissance de l'Etat-Civil proprement dit, désormais rédigé et conservé par la Municipalité, alors que les registres de la presque totalité des deux siècles précédents n'étaient établis qu'à l'usage du clergé et pour les formalités des sacrements. De ce fait on ne devra pas s'étonner de l'absence quasi-totale de mentions concernant les protestants, pourtant attestés, discrètement il est vrai, par ailleurs, ni de la sous-représentation des baptêmes et décès (par exemple pour les nouveau-nés n'ayant pu atteindre à temps l'église bien qu'à certains moments le clergé, plus tolérant, ait admis des régularisations d'ondoiements); mais les suicidés, les étrangers décédés sans qu'on sache leur religion, furent inhumés sans cérémonies ni mentions écrites. Ces imperfections connues il n'en demeure pas moins que les registres des B.M.S. restent la source irremplaçable de la découverte des destins individuels - la Généalogie - et une ouverture privilégiée sur l'histoire locale.

Les Registres

La collection municipale comporte onze volumes vraisemblablement reliés au début de ce siècle et la distribution chronologique un peu hasardeuse des premiers résulte du format et de l'épaisseur variable des liasses. Celles-ci offrent une rédaction régulière dans l'ensemble si l'on excepte certaines parties des trois premiers tomes et la conservation est globalement excellente.

Les volumes sont ainsi répartis

- I - 1597-1636 - V - 1692-1718 - IX - 1761-1771
- II - 1652-1685 - VI - 1718-1736 - X - 1771-1781
- III - 1670-1672 - VII - 1737-1747 - XI - 1781-1792
- IV - 1685-1692 - VIII - 1747-1760    

Il n'existe que deux actes postérieurs à la clôture du 5 Décembre pour terminer l'année 1792.
Le relevé intégral des actes et l'établissement des tables décennales dénombrent 2600 Baptêmes, 449 Mariages et 2322 Sépultures, soit en tout 5571 actes. Ces chiffres ont été pondérés en ajoutant
- d'une part les actes de Baptême et de Sépulture doubles (un acte pour deux personnes ou plus) ainsi que les cinq actes (1 Baptême et 4 Sépultures) figurant uniquement sur les grosses du greffe relevées aux Archives Départementales,
- d'autre part en retranchant les copies d'actes; annulés ou non, comme les quarante cinq doubles de la grosse de l'année 1710 jamais versée au greffe et aussi en ôtant les réhabilitations de mariages, les publications de bans et les translations. Les autres mentions, déclarations de domicile, procès-verbal de découverte d'un corps, abjuration, dispenses d'affinités, - notons au passage qu'il n'y a aucun testament - n'ont pas été décomptées.
Il reste ainsi un total utilisable de 5513 actes répartis en 2786 Baptêmes, 436 Mariages et 2291 Sépultures.
Il est habituel que la collection municipale, par son ancienneté, soit plus complète que celle du greffe; de plus, cette dernière, débutant en 1692, comprend un déficit important. Nous l'avions constaté pour l'année 1710, mais le versement des grosses ne reprend ensuite qu'en 1737, cette fois régulièrement, à part l'année 1751 perdue. La rédaction de ces grosses est généralement hâtive, très raccourcie, pleine d'erreurs par rapport aux minutes ; par contre il est indispensable de consulter les années 1693 et 1695 qui sont manifestement des minutes déposées par erreur.
Enfin les Archives Départementales détiennent un registre des Babtesmes, mariages et enteremens de ceux de la R.p.R. qui ont leur exercice au lieu de LA NORVILLE afin de servir pendant l'année 1671..., conformément à l'ordonnance du Roi d'Avril 1667, lequel registre ne contient que deux mariages de nobles évoluant dans l'entourage de Louis LE MERCIER, seigneur du lieu et protestant notoire. Cette présence protestante semble résulter seulement du choix religieux de ce seigneur et de ses proches, ce qui éclaire aussi le passage de TURENNE en 1652, sans paraître atteindre la population. On ne relève qu'une abjuration bien tardive en 1717 concernant un serviteur du château: Jean André Henri LANGHAUNFSEN natif de KLINGENBERG dans la baronnye de NEYPERG, dépendance de Sa Majesté Impériale (peut-être KLINGENFURT ou KLAGENFURT en Autriche); on le retrouve inhumé sous le nom d'André HANSLANGHANS et sans doute doit-on y voir un Hans LANGHAUNFS, nom simple signifiant en fait fils du grand Jean. Cette conversion est certainement dictée par les circonstances en raison de son emploi de valet de chambre du marquis de PERY. Elle n'a plus rien à voir avec les abjurations générées par les dragonnades dès 1680 puis la révocation de l'Edit de Nantes par celui de Fontainebleau en 1685 qui abolissait la tolérance mais dont on ne voit aucun effet se manifester à LA NORVILLE.

Cependant la collection des registres municipaux est loin d'être homogène avant le dernier quart du XVIIIème siècle. Ainsi le premier volume n'enregistre-t-il que des baptêmes jusqu'en 1636 et les mentions laconiques de cinq mariages en 1620-1622 et de cinq décès en 1631-1632 restent anecdotiques, tentatives sans doute à l'initiative des curés de ces deux époques qui ne seront pas poursuivies par leurs successeurs. Par contre dès 1652 ces actes réapparaissent sans hiatus apparent dans le volume suivant mais ils restent très concis; il faudra plusieurs injonctions de l'Archidiacre de Josas, au cours de ses visites de 1664 et 1668, pour que ces mentions s'étoffent: noms des parents et témoins avec leurs signatures aux mariages et sépultures. Tout cela ne devient effectif qu'après l'Edit du Roi du dix Juillet 1668. Ces mêmes prescriptions obligèrent le curé à ne plus tenir qu'un seul registre recevant les actes sans les séparer selon leur nature comme auparavant, ce que l'on voit se réaliser dès le 22 Juillet de la même année. Il n'en demeure pas moins que les périodes antérieures et immédiatement postérieures à 1668 présentent des lacunes et déficits qu'il nous faut essayer d'expliquer.

Au contraire des déficits qui enregistrent une perte d'actes ayant existé mais qui ont disparu (on peut supposer leur présence par les restes d'une liasse fragmentaire ou par un volume manquant entre deux conservés) les lacunes constatent un non-enregistrement d'actes sans que l'on puisse incriminer des feuillets détruits ou une discontinuité dans la rédaction; elles se remarquent surtout lors des changements de titulaires et il est possible que les offices et services liés aux sacrements se soient déroulés dans les paroisses voisines comme Saint-Germain-lès-Châtres ou bien Châtres. L'examen de leurs registres vérifierait cette hypothèse.

Le premier volume
Les balbutiements de l'Etat Civil

Premier volume des BMS
Reproduction des plus anciennes pages des B.M.S.

A La Norville les lacunes du premier volume sont difficiles à identifier du fait de la faible représentation des baptêmes pour cette période; les petits nombres se prêtent mal à une étude statistique. On remarquera cependant:
- La sous-représentation des baptêmes en 1598 et 1599, au nombre de six dans les deux cas, avec une lacune de Mars à Août en 1598 et d'Avril à Octobre en 1599. Deux explications sont possibles:
° soit un défaut d'enregistrement qui aurait conduit le rédacteur à retranscrire fin 1599 quelques baptêmes épars des années précédentes, ce que suggérerait l'uniformité des encres et écritures laissant croire à une rédaction d'un seul jet,
° soit une baisse des conceptions résultant d'une nouvelle flambée de la peste attestée en 1596-1598
- Il est difficile d'imputer la lacune observée de fin Mai à fin Septembre 1611 à l'arrivée du curé Jean REVEL qui succède au début du deuxième trimestre de l'année à Thomas SIMON car on observe une chute des naissances, surtout au printemps et en été, de toutes les années 1611-1619.

- Les deux lacunes que l'on observe en 1632, de Février à Septembre, et en 1633 de la mi-Février à la mi-Novembre ne peuvent pas être expliquées par le seul changement de titulaire de la cure. On n'a pas de raison de penser que le nouvel arrivant, présent en 1632, se soit absenté la plus grande partie de l'année suivante sans laisser un vicaire gardien de ses intérêts. Il faut plutôt voir dans ces lacunes la nouvelle vague de peste des années 1629-1631, accompagnée de disettes et qui, comme toujours dans les sociétés de l'ancien régime, désorganisaient profondément le corps social: fondé sur la famille, son dysfonctionnement se traduit toujours par une baisse de la natalité.

On ne quittera pas ce premier volume sans évoquer sa composition qui constitue un défi à la chronologie: ce registre comporte quatorze liasses indifféremment reliées dans un sens ou à l'envers, sans continuité, parfois rédigées elles-mêmes dans les deux sens et souvent des deux bouts par au moins quinze rédacteurs différents. Si les premiers rédacteurs ont laissé des séries à peu près cohérentes malgré le mélange des liasses du fait du relieur, le curé Firmin LE MOYNE s'en distingue par une négligence certaine: noms omis, actes incomplets ou inversés, pages sautées... mais surtout une tendance à insérer les actes dans les vides et marges des feuillets précédents. C'est malheureusement le rédacteur aussi le mieux représenté avec 147 actes de 1622 à 1631.

Malgré tout cela ce volume offre quelques attraits comme la préface en latin du curé Jean REVEL, d'une belle écriture, nous informant de sa nomination en l'an 1611. Il rédige son premier acte, en latin également et heureusement le seul sous cette forme, le dix-huit Mai. Une demi-douzaine de listes de noms mélangées aux actes des années 1618-1622 nous renseignent sur les membres de la Confrérie Notre-Dame de Liesse, pèlerinage réputé et sur divers donateurs pour les cierges ou le service de l'église. Apparaît aussi épisodiquement entre 1609 et 1625 Théodore DU MONT, faisant office de vicaire, qui était chapelain de l'autel de Notre-Dame des Minots que l'on ne sait où situer, mais certainement pas au château, fief huguenot.

Pour conclure on remarquera une tendance certaine à l'appauvrissement et au manque de soin apportés à la rédaction des actes, déjà vers 1620 et surtout après 1630. L'une des raisons de cette dégradation nous est fournie par la liste des curés, connue par d'autres sources, nous montrant trois titulaires en quatre ans: après Firmin LE MOYNE, déjà évoqué, lui succède Jean GOMARD jusqu'en 1635, puis Jean LESNÉ pour un an, enfin Nicolas AUVRAY en 1636. Ce dernier est certainement l'auteur des ultimes actes du registre désormais complet et il en ouvrit sans doute un nouveau, lequel disparaîtra lors des troubles de la Fronde des Princes.

Le deuxième volume
La Fronde à LA NORVILLE

Avec le deuxième volume (1652 - 1685) nous abordons le problème du déficit des actes entre 1636 et 1652 alors que nous connaissons par l'Abbé GENTY, auteur d'une « Histoire de La Norville », les titulaires de la cure: à Nicolas AUVRAY succède René LOPPÉ en 1650 puis Sébastien de VALSEMÉ en 1651. Quelles purent être les sources de l'Abbé GENTY pour établir en 1885 sa liste des curés ? Les Archives Départementales sans doute mais indubitablement aussi les registres municipaux dont il livre plusieurs fois les extraits; il mentionne ainsi Thomas SIMON en 1587 tel qu'il apparaît dans le premier baptême du 13 Octobre 1587 (date manifestement erronée; il s'agit de 1597, le deuxième acte étant du 12 Février 1598). Si d'autres documents n'attestent pas la présence du curé SIMON à La Norville en 1587 il est permis de penser que l'Abbé GENTY a établi sa liste à l'aide des B.M.S. et qu'il a eu entre les mains le registre 1636 - 1652. Un fait troublant pourrait conforter cette supposition: les registres portent un enregistrement d'une écriture de la fin du XVIIIème siècle, sans doute au moment de la remise des volumes à la Municipalité en 1792. Or si le premier volume porte « premier feuillet du pr.registre » on observe sur les suivants « premier feuillet du 3° Registre°» et « premier feuillet du quatre° Regtre » pour nos actuels deuxième et troisième registres. Il est également étonnant que seul le deuxième registre ait disparu lors des troubles et que le premier restât préservé. Des recherches dans les inventaires communaux, avant et après 1885 date à laquelle l'Abbé GENTY a publié son ouvrage, fourniraient peut-être des réponses à ces questions.

Le registre 1652 - 1685 offre la particularité de comporter cinq parties et trois rédacteurs. Les trois premières liasses recueillent séparément les baptêmes, mariages et sépultures de 1652 à 1668 date à partir de laquelle, sur les injonctions répétées de l'Archidiacre de JOSAS, les actes seront inscrits à la suite dans l'ordre chronologique. Cette quatrième liasse s'arrête en 1670 et à ce moment le curé DE VALSEMÉ ouvre un nouveau registre de très petit format (le Volume III) jusqu'à sa mort en 1672. Après une lacune de plus d'un an - dont toute l'année 1673 - ses deux successeurs composent la dernière partie du volume. Il est d'ailleurs probable que cette adjonction provienne de la mise en reliure moderne car certaines des dernières liasses sont mal placées ou inversées.

L'année 1652 est particulière. Il n'y a qu'un seul baptême cette année-là en Octobre et le suivant n'aura lieu qu'en Août 1653 (cette dernière année n'en comportera d'ailleurs que sept soit la moitié des moyennes annuelles des deux décennies suivantes), et un seul mariage en Novembre. Ce n'est pas un déficit de rédaction car les sépultures nous indiquent que DE VALSEMÉ était présent dès le 15 Mai dans sa paroisse où il enregistre 32 inhumations en Mai et Juin, 25 en Juillet et Août, 10 encore en Septembre et Octobre et enfin 6 jusqu'à fin Décembre. Ces soixante-treize décès en huit mois (dont soixante sept de Mai à Octobre) prennent toutes leurs dimensions confrontées aux moyennes annuelles des décennies suivantes: 11,6 de 1653 à 1662, 13,5 de 1663 à 1672 ou encore aux 17 décès en moyenne séculaire de 1653 à 1752, sachant de plus que la première moitié du XVIIIème siècle a une population en nette augmentation.

La mortalité exceptionnelle de cette année 1652 en fait la plus meurtrière du siècle, à La Norville comme dans le Sud et l'Est du Bassin Parisien tout particulièrement. Cette impression de catastrophe irrémédiable a vivement frappé les contemporains. Ainsi Mère Angélique ARNAUD de PORT-ROYAL-DES CHAMPS dans l'une de ses lettres écrit-elle
« ...Tous les hommes sont presque morts et il ne reste que des enfants orphelins... le tiers du monde est mort »

Le premier mouvement de révolte, de Janvier à Mars 1649, avec les allées et venues de troupes autour de la capitale suivies des habituels pillages, exactions, destructions, n'a pas laissé de traces écrites pour La Norville; en ce domaine comme dans d'autres la recherche reste à faire; du moins est-on assuré qu'ailleurs la mortalité (que l'on ne peut appréhender ici faute de registre) s'est élevée mais sans commune mesure avec les événements qui vont suivre.

1652 - La Fronde, guerre civile

L'annonce du retour de MAZARIN en Décembre 1651 suffit à reformer l'alliance des Princes appuyée par le Parlement de Paris. Dès janvier 1652 le Bureau de l'Hôtel de Ville et le Duc d'Orléans lèvent des troupes qui déjà pillent et ruinent dans le Gâtinais, le Hurepoix et la Brie. TURENNE, rallié au roi à la fin Janvier se devait d'empêcher la jonction entre l'armée des Princes venant du sud-ouest et celle de Paris; en Mars, après avoir remis l'Anjou en révolte avec ROHAN aux mains du roi, les adversaires se déplacent sur les bords de la Loire. Le théâtre des opérations ne peut alors que se diriger vers la capitale, enjeu d'importance. A la mi-Avril l'armée de CONDÉ avance vers Paris par Montargis. Décidé à lui couper la route, TURENNE remonte à marches forcées à travers le Gâtinais par Fontainebleau; il occupe La Ferté-Alais le vingt-quatre, obligeant les insurgés à se détourner vers Etampes. L'avant-garde de l'armée royale, des mercenaires Croates et Allemands, pillent le même jour l'abbaye de Cerny et avant le deux Mai ravagent la région de Châtres ; l'église et le château de La Norville sont mis à sac; les fermes, les terres et les alentours sont dévastés. L'armée s'installe pour quelques jours autour de Châtres et y laisse ses bagages, le temps d'une incursion à Etampes le quatre Mai; elle est de retour le lendemain pour faire mouvement sur Palaiseau. Fin Mai l'armée royale repasse à Châtres pour faire le siège d'Etampes puis, suite à l'arrivée des Lorrains entre Marne et Seine vers Villeneuve-St-Georges, se dirige vers Corbeil par la vallée de la Juine le sept Juin. Enfin, après les tractations du seize Juin entre les divers partis, l'armée de CONDÉ peut quitter Etampes et, par Châtres, gagner Paris en Juillet. Ces derniers mouvements de troupes ont moins affecté la population du simple fait qu'il ne reste plus rien à piller, ni vivres ni biens. Par la suite les opérations se déplaceront dans le nord et l'est du bassin parisien et les alentours immédiats de la capitale avant de se terminer en Octobre dans la Brie, la coalition se défera, Paris se soumettra le dix-huit et CONDÉ, partant avec ses Lorrains, se mettra au service de l'Espagne.

Cette guerre civile a dévasté et dépeuplé la région parisienne. Les mouvements incessants des armées se sont accompagnés d'innombrables violences, exactions et ravages qui ont totalement désorganisé les travaux agricoles, aggravant une crise de subsistance latente.

1649-52 - La crise de subsistance

La récolte de 1649 est mauvaise du fait des fortes gelées de Février et du mauvais temps en général et la situation s'aggrave à cause de la guerre, laissent de nombreuses terres en friches. La cherté des grains, le manque de chevaux en raison des vols perpétrés par le soldats et les pillards jette dans la misère toute une frange de population évoluant au seuil de la pauvreté.

Les récoltes de 1650 et 1651 sont médiocres et la crise s'installe durablement avec pour corollaires une poussée de la mortalité et une chute caractéristique de la fécondité en 1652; cette chute est très marquée à La Norville où, nous l'avons déjà noté, il n'apparaît qu'un seul baptême en Septembre 1652. Même si une fraction notable de la population a pu fuir, la litanie des décès depuis le quinze Mai montre que la majeure partie des habitants est de retour. Il faudra cependant attendre Août 1653 pour voir de nouvelles naissances soit dix mois après la fin de la guerre. Cette dernière a donc amplifié considérablement la crise qui s'aggravait d'année en année bien antérieurement aux événements. Et pourtant la récolte de 1652 a été bonne et, semble-t-il, même exceptionnelle en blé, mais les soldats ont tout moissonné ou ravagé. L'armée de TURENNE par exemple compte 6000 fantassins et 4000 cavaliers suivis d'irréguliers en grand nombre traînant le produit de leurs rapines. Tous vivent sur le pays où ils campent ou qu'ils traversent, pillant les villages, forçant les portes, rasant vignes et arbres, volant grains et bétail; les fourrageurs se dispersent aux alentours pour nourrir les bêtes. Dès Juillet le fourrage manque et en Septembre les chevaux se nourrissent des feuilles et des bourgeons des vignes. De plus les paysans installés dans un rayon allant jusqu'à dix lieues autour de la capitale doivent en assurer le ravitaillement afin d'éviter les troubles. Le plus grave enfin est la totale désorganisation des rythmes agricoles: tous les travaux des champs sont abandonnés, plus de labours faute de chevaux, plus de semailles faute de grains. Toutes les récoltes sont pratiquement perdues. Ainsi la mercuriale des grains du marché de Montlhéry s'interrompt-elle du vingt-deux Avril au quatre Novembre. La paix vient trop tard pour que des milliers de pauvres gens puissent reprendre une vie normale; il n'est plus pour eux question que de survivre.

Crise de subsistance et guerre civile ont provoqué une hausse des décès dans une population sous-alimentée et traumatisée comme en 1649 mais ne peuvent suffire à expliquer la hausse brutale et catastrophique de la mortalité de 1652. C'est qu'à ce moment apparaît le troisième élément: l'épidémie.

1652 - L'épidémie

Les contemporains ne nomment pas la maladie et bien qu'elle soit contagieuse il n'est pas question de peste; la période offre d'ailleurs un vaste choix en la matière. La mortalité maximale est constatée en Mai et Juin, souvent liée au passage des armées. En d'autres endroits, en dehors des zones de combat, elle s'élève en Juin pour culminer en Août et Septembre avant de diminuer partout en Octobre. Fin 1652 la crise est terminée. Ces pics de mortalité signent le caractère épidémique d'une maladie frappant autant les vieillards et les enfants - les plus exposés - qu'une bonne part de la population adulte fragilisée. On saisit bien que les décès ne peuvent être dus à des faits d'armes ni à la disette; dans le premier cas, même si des exactions et des meurtres ont été perpétrés, il n'y a pas eu de massacres généralisés. Les populations civiles, attentives aux plus petites rumeurs, fuient à l'approche des armées et se réfugient dans des lieux sûrs ou réputés tels, comme l'avaient fait leurs aïeux en d'autres temps: ceux de La Norville sans doute à Châtres (ville épargnée par TURENNE qui y a réquisitionné les boulangers pour nourrir ses hommes), ceux de Linas dans les bois du Faÿ, ceux de Montlhéry, dépourvue de murailles par RICHELIEU, chez les Célestins de Marcoussis, ceux de Corbeil encore désertant leur ville à cause du pont sur la Seine incessamment traversé et retraversé par les armées... Paris a ainsi vu affluer une bonne part des habitants de sa ceinture agricole - ceux-là même qui la nourrissaient - et ces exodes de réfugiés contribuent d'autant plus à propager l'épidémie. De même la disette seule n'aurait pu faire évoluer la mortalité de la manière constatée: les plus faibles auraient aussi été touchés mais dans des proportions moindre et plus régulièrement répartie sur l'ensemble de l'année; on aurait sans doute observé une recrudescence des décès lors de l'hiver 1652-1653, particulièrement lors de la soudure avec les nouvelles récoltes, moment toujours critique.
On reconnaît sans peine à La Norville le « pic » épidémique dû à la contagion amenée par l'armée: les trente-deux décès de Juillet et Août comme les dix de Septembre et Octobre ne peuvent, à mon avis, être dissociés, surtout en les comparant aux moyennes des décès annuels déjà décrits. C'est donc soixante à soixante-dix morts qu'il faut comptabiliser et ces chiffres ne donnent qu'une approximation par défaut, ne pouvant inclure ceux décédés avant la mi-Mai ni ceux qui, ayant fui, n'ont pu ou voulu revenir. On estime généralement la diminution de la population entre le quart et le tiers des habitants, ce qui donnerait à La Norville, environ deux cent cinquante âmes et au moins soixante feux avant les événements. Estimation basse, faut-il le redire, mais qui marquera profondément la démographie de la seconde moitié du XVIIème siècle en région parisienne.

La crise de 1652 est donc la conjonction catastrophique d'une guerre qui, par ses excès, diffuse une épidémie sur fond endémique de disette. C'est la première et la plus forte d'une série d'une douzaine de crises qui ont affecté très profondément la démographie de la région. La natalité qui remonte un peu dans les deux décennies suivantes, chute à l'arrivée des classes creuses vers 1670 et jusqu'à la fin du siècle au moins. Il faudra attendre 1720 pour retrouver un taux de naissances supérieur à ces funestes années...

Une Grande Misère

Nous pouvons nous référer aux textes laissés par les contemporains - écrits relativement nombreux - pour toucher de plus près l'étendue et la nature de la misère dans nos régions. Voici par exemple des extraits de l'enquête menée en Septembre-Octobre 1652 sur l'ordre du Grand Vicaire de l'Archevêché de Paris:
« En ce qui est des églises, l'on a trouvé les vitres cassées, les bancs rompus, les Tabernacles ouverts, les saints Ciboires emportez, les ornements pillez... les lieux, villages et hameaux déserts et destituez de Pasteurs... les rües et voisinages infectez de charognes, puanteurs et de corps morts exposéz...les maisons sans portes, fenestres, cloisonages et plusieurs sans couvert et toutes réduites en cloaques et étables (nous dirions aujourd'hui porcheries)... toutes les femmes et filles en fuite et les habitants restez sans meubles, ustanciles, vivres et destituez de tout secours spirituel et temporel... Mais sur tout les malades languissans, moribonds et mourans, sans pain, sans viande, remèdes, feu, lits, linge, couverts et sans Prestres, médicin (sic), chirurgien ny aucun pour les soulager... »

Habitués que nous sommes aux images déversées par les médias modernes nous pourrions ici regretter leur absence, pourtant il suffirait de transposer ces événements en d'autre temps et autre lieu pour en avoir une vision assez exacte. Par exemple l'actualité récente du Zaïre nous démontre avec force les ravages d'une guerre civile; rien n'y manque, ni les armées plus ou moins contrôlées (ou incontrôlées) sillonnant un pays en totale désagrégation sans administration et autorités, ni l'arrêt des activités commerciales et agricoles, ni les hordes de réfugiés lancés sur les chemins et laissant les mourants de famine et de maladie au bord de la route, ni l'ingérence des troupes étrangères (en 1652 ce rôle est tenu par les Lorrains, les contingents Espagnols de CONDÉ et d'innombrables mercenaires), ni encore les camps de réfugiés dont Palaiseau fait la triste expérience, ni enfin l'aide humanitaire: toute l'année 1652 voit cette mission remplie par les Ordres Charitables dont celui de St-Vincent-de-Paul; dès le printemps les aides aux pauvres et aux réfugiés sont débordés par les progrès de l'épidémie, le mal se développant plus vite que les secours malgré la mobilisation générale de la charité. En Octobre et en Novembre s'organisent des collectes d'argent, de meubles, de vêtements et de vivres et en Janvier 1653 cent quatre vingt treize villages des alentours de Paris sont secourus.

Télescopage singulier de temps et de lieux différents n'ayant pas de causes communes mais des effets bien similaires. La « Grande Misère » engendrée par la Fronde n'est pas un conte embrumé de l'ancien temps mais une réalité tangible que l'on peut hélas voir encore de nos jours...

Sébastien DE VALSEMÉ

Nous sommes redevables à ce curé, cité en 1650 à La Norville selon certaines sources, de la reprise des actes dès le quinze Mai 1652 donc très peu de temps après le départ des armées. Ce retour si rapide et au plus fort de l'épidémie n'est pas un cas habituel. En bien des endroits les titulaires en fuite ont laissé leurs ouailles aux mains de quelques vicaires inexpérimentés, eux-mêmes vite emportés par la maladie ou désertant la paroisse par peur de la contagion. On peut en déduire que DE VALSEMÉ accompagnait ses paroissiens dans leur fuite et lors de leur retour ou, pour le moins, les suivait de près. Ce fut certainement pour eux un grand réconfort moral de pouvoir bénéficier des secours de la religion et de garder un point de repère dans leurs existences bouleversées. Nous avons eu, par ce qui précède, une vision assez générale de l'état de la paroisse, voici quelques détails plus précis tirés d'une requête aux élus de Paris insérée dans le partage des successions de + Pierre LECONTE, Marchand à La Norville et de + Claude CHARTIER, sa femme :
« A Messieurs les présidents lieutenants et esleuz de Paris.
Supplient très humblement les pauvres habitans de la paroisse de La Norville ruinée par le feu lors du campement de l'armée, ainsi qu'il est nottoirement congnu, et est la cause qu'il n'y peut habiter que fort peu de pauvres gens vignerons et journaliers et femmes veufves qui y sont restées, ne possedant aucunes terres ni les autres herritages du lieu, lesquelz sont entierement tenus et possedés par les bourgeois hostelliers et laboureurs de la ville de Chastres et quelques autres villages circonvoisins qui les labourent et tiennent par leurs mains, ny ayant en la dicte paroisse un seul laboureur ni autres personnes qui puisse faire aucun trafiq ni marchandise, les logis restées du feu où avant les desordres de la guerre, estoient logées plusieurs laboureurs habitans du lieu, sont maintenant inhabitée et déserte, joinct qu'en la présente année [1652] sont morts plusieurs personnes, notammant Pierre LECONTE et sa femme, qui estoient les meilleurs et plus accommodées de la paroisse, qui n'est plus compposée que d'environ vingt hommes qui puissent estre comptées pour habitans le reste n'estant que pauvres gens incongnus et pauvres femmes veufves refugiées audit lieu, c'est pourquoy Messieurs il plaira avoir pittié et compassion de cette pauvre paroisse ruinée, et la soullager aux tailles des années prochaines, vous ferez grande charité ».

Le tableau est peut-être un peu noirci dans le but de réduire au maximum les impositions mais sans doute peu éloigné de la réalité; notons au passage que le partage de cette succession n'est intervenu que cinq années plus tard, signe d'une bien difficile reprise du cours normal des choses.

Sébastien DE VALSEMÉ, par sa présence, démontre qu'il a été un pasteur soucieux de ses paroissiens et sans doute pénétré de sa mission; on pourrait se demander aussi s'il n'a pas été janséniste car on trouve dans le registre des baptêmes un texte singulier, trois fois répété les 13 Août 1662, 29 Juin et 17 Août 1664:
« Signature du formulaire de foy contre le Jansénisme
Ce jourd'huy treizeme d'aoust mil Six centz soixante deux Je Curé de la Norville Soubz Signé me Soubzmetz sincerement à la constitution du pape Innocent dix du 31 may 1653 selon son véritable sens, qui a esté déterminé par la Constitution de nostre St père le pape Alexandre 8 du 16 octobre 1656. Je reconnais que je suis obligé en conscience d'obéir à ces constitutions et je condame de coeur de bouche la doctrine des cinq propositions de CORNELIUS JANSENITES contenues dans son livre Intitulé Augustinnes que ces deux papes et les Evesques ont condamée laquelle doctrine n'est point celle de St Augustin que Jansemime a mal expliquée contre le vray sens de ce Docteur. En foy de quoi J'ay signé le présent formulaire led.an, moys et Jour que dessus. DE VALSEMÉ »

Ce formulaire ressemble fort à un acte de contrition et montre que son auteur avait une bonne connaissance de ce mouvement et, peut-être, avait-il eu quelque sympathie pour lui dans le passé...

Pour le reste on ignore tout de ce curé, de ses origines et même sa date de décès nous échappe. Son dernier acte est du 4 Octobre 1672 et les deux suivants en Décembre 1672 et Janvier 1673 sont de deux rédacteurs différents, juste avant la lacune se terminant en Février 1674. Il nous laisse aussi une des rares mentions qui parfois agrémentent les registres, l'érection d'une croix de carrefour encore citée sur les cartes récentes:
« L'an de grace 1671 le 16 de novembre fut apportée en l'Eglise de ce lieu de La Norville une grande croix de boys par les nommés Claude PILLAS Antoine RAVET et Louys JULIEN demeurantz à Chastres, A la prière et réquisition desquelz J'ai Icelle Croix béniste suyvant le pouvoir à moy doné par Monseigneur l'Archevesque de Paris en datte du treize dud.moys de Novembre au présent après laquelle bénédiction ont icelle Croix portée et plantée sur le terroir de cedict leu au carrefour qui sépare le chemein de Leudeville et celuy de Marolles ce que j'ay Icy escript pour servir de mémoire à la postérité led.an, moys et jour que dessus. DE VALSEMÉ »

Les autres Registres
...jusqu'à la Révolution

Après 1674 les registres ne présentent plus de discontinuité et la collection municipale se déroule sans heurts année après année. Remarquons simplement que ce n'est pas le cas de celle du greffe débutant en 1692. Ainsi les archives départementales comportent des déficits importants de 1711 à 1736 inclus et encore en 1751. Les mentions diverses se font rares; on relevera seulement une note intéressante sur l'énigmatique Chapelle des Minots:
« L'an 1733 au mois de décembre sur un ancien morceau de bois qui estoit scellé au dessus du balustre de la chapelle des Minotz qui menaçoit ruine j'ay remarqué qu'il y avoit été escrit les paroles: cette église a esté dédiée en 1542, ce qui poura servir dans les temps à venir à lever tous soubçons sur la réalité de la dédicace de cette église en cas que l'on en fut en doute c'est pourquoy je l'ai inséré dans le présent registre. ADAM curé. »

Deux procès verbaux en 1742 et 1748 constatent la découverte des corps d'un mendiant et d'un inconnu donnant pour le premier une description précise de son habillement .

Une dernière note le 9 Juin 1763 mentionne que Monsieur et Madame de LA GRANDVILLE à l'occasion de leur prise de possession de la terre de La Norville furent reçus à l'église par le curé en son clergé et qu'il y eut le soir un feu d'artifice.

Ainsi s'achève cet aperçu de la richesse de ce patrimoine dont le dépouillement effectué ne constitue avant tout qu'une mesure de sauvegarde. Mais au delà de ce devoir de protection s'impose l'évocation historique et qu'elle soit familiale ou locale faire de la Généalogie c'est faire de l'Histoire.

Denis PETIT

Pour en savoir plus...
* Archives municipales:
- Note sur le premier volume des B.M.S. 1597-1636, dactylographié, XVII pages
- Minutier de La Norville, relevé des Contrats de Mariage, Pascal HERBERT, Centre Généalogique de l'Essonne.
* Jean JACQUART « Paris et l'Ile-de-France au temps des paysans, XVIe-XVIIe siècles », recueil d'articles, publications de La Sorbonne, 1990.
* Jean DELUMEAU et Yves LEQUIN « Les malheurs des temps », Larousse, 1987.
* Abbé GENTY « Histoire de La Norville et de sa seigneurie » Paris 1885

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