CHAPITRE III

Sommaire

Jean de Lignières. - Edouard et Jacques de Beaujeu. - La ligue du Bien public. - Pierre Leprince. - Concession de la haute, moyenne et basse Justice, par Louis XI.

Aux Le Breton avait succédé dans les seigneuries de La Norville et de La Bretonnière, la famille des de Lignières. En 1352, un sire de Lignières possédait le fief et manoir du Couldray-Liziart, paroisse de Briis-sous-Forges, dans la châtellenie de Montlhéry(1). Le voisinage des seigneuries amena peut-être des alliances entre les deux maisons, ou plutôt donna lieu à des contrats de vente ou d'échange. Toujours est-il que certainement avant l'occupation anglaise, c'est-à-dire avant 1423, et probablement dès la mort d'un Jean de La Bretonnière, en 1418, les de Lignières furent établis à La Norville et à la Bretonnière. A ces seigneuries, jusqu'au 16 septembre 1489, fut dès lors unie leur ancienne propriété du Couldray-Liziart. Un aveu et dénombrement du seigneur des Granges à celui de Bruyères-le-Châtel, les titres de la seigneurie de La Norville et l'histoire générale ne laissent aucun doute à cet égard.

Les de Lignières étaient d'illustre race. Leurs ancêtres ont combattu avec honneur les ennemis de la France aux côtés de nos rois, en particulier à la funeste journée de Poitiers. A cause de leurs services et de leur fidélité, ils avaient obtenu des charges de confiance à la Cour. Philippe, baron de Lignières, était grand queux de France sous Charles VI. Il fut le père de Jean V du nom, baron de Lignières, seigneur de Rezay, Thevé, Brécy, La Norville, La Bretonnière et autres lieux. Ce dernier fut marié, en 1400, à Jacqueline de Chambly, fille de Jean de Chambly, dit de Haze, et de Béatrix de la Roche-Guyon. Il était chevalier, conseiller et chambellan du roi et du dauphin alors duc de Guyenne. En 1412, après la mort de son père, il devint grand queux de France à cinq cents livres de pension. Par ordre du roi, il reçut la même année une somme de mille livres en considération de ses services et des pertes qu'il avait souffertes des Anglais. Le dauphin le fit aussi payer en cette même année d'une somme pour se mettre en équipage et le suivre en son voyage de Bourges. Toute sa vie, il s'attacha au service du dauphin qui devint plus tard Charles VII.

Lorsque après la mort de Charles VI, arrivée le 21 octobre 1422, le roi Henri VI d'Angleterre fut proclamé roi de France, le duc de Belford, qui gouvernait en son nom, voulut s'attacher toutes les provinces occupées par ses troupes, en deçà de la Loire, du côté de Paris. Il prit les places qui tenaient encore pour Charles VII et punit, par la confiscation de leurs biens, les seigneurs qui avaient suivi le parti du dauphin. C'est ainsi que furent saisies les terres que Jean de Lignières tenait, tant de son chef que de celui de sa femme, aux bailliages de Rouen, Caux, Mantes, Meulan, Senlis et prévôté de Paris dans laquelle se trouvaient La Norville et La Bretonnière. Toutes ces possessions furent données, le 12 janvier 1423, par le régent à Thomas de Ruis, chevalier anglais, son écuyer d'honneur. La Norville fut alors directement entre les mains des ennemis de la France(2).

De Lignières, à la Cour de Charles VII à Mehun-sur-Yèvre, en 1426, eut un différend avec le seigneur de Culan. Ce différend fut la cause de brouilleries fort tristes et fort graves dans leurs conséquences. Le roi s'était fait l'arbitre de cette querelle. Gyac, son premier ministre, avait pris parti pour Lignières et le seigneur Louis de la Trémouille pour Culan. Comme un jour chacun défendait son ami en présence du prince, on s'échauffa. Gyac dit quelque chose de choquant à la Trémouille et celui-ci répondit par un démenti. Charles VII, indigné de ce manque de respect pour sa personne, chassa La Trémouille de sa présence et prit le parti de Gyac et de Lignières contre Culan et son défendeur. La Trémouille résolut de se venger; il s'allia au connétable de Richemont, fit assassiner Gyac et, grâce à l'appui du connétable, prit la place de l'infortuné ministre. Plus tard, La Trémouille, fort l'influence que sa position lui donnait, fit disgracier le duc de Richemont. Les intrigues de ce dernier à la cour du duc de Bretagne, son frère, sa retraite frondeuse, l'impuissance où le réduisait la colère du roi, les résultats fâcheux qui en advinrent pour la France tirèrent ainsi leur origine de cette querelle entre Culan et le seigneur de La Norville, Jean de Lignières, grand queux de France(3).

Ce dernier ne vit pas la délivrance des seigneuries; sa mort arriva vers l'an 1433. Son sceau était un lion surmonté d'un lambel de cinq pièces.

De son mariage avec Jacqueline de Chambly il n'avait eu qu'une fille, Jacqueline, dame de Lignières, qui porta en mariage les grands biens de sa maison à Edouard de Beaujeu, seigneur d'Amplepuits. Celui-ci était petit-fils de Guichard VI, seigneur de Beaujeu, de Dombes et de Sémur en Briennois, surnommé le Grand, et fils de Guillaume de Beaujeu, seigneur d'Amplepuits, Chevaignes et Chancelet, époux de Marguerite de Gorse.

La famille des de Beaujeu était une des plus illustres de France. Guichard VI, chevalier, conseiller et chambellan du roi, avait servi dignement Philippe le Bel, Louis le Hutin, Philippe le Long, Charles le Bel et Philippe de Valois. En 1325, par sa valeur personnelle, il avait sauvé la vie au comte Edouard de Savoie dans un combat livré sous les murs du château de Varrey. A la journée de Mont-Cassel, en 1328, il commandait le troisième bataillon français avec le grand maître des hospitaliers et décidait de la victoire.

Guillaume de Beaujeu était, au mois de février 1357, capitaine souverain du pays de Berry. La même année, au mois de décembre, Charles, duc de Normandie et dauphin de Viennois, fils du roi, l'établissait capitaine général et spécial au bailliage de Bourges, Jean, comte de Poitiers, fils du roi et son Lieutenant en Languedoc, lui donna, en récompense de ses bons services, cinq cents florins d'or de Florence, par ordonnance du 4 décembre 1359. Il mourut vers 1407 et eut de sa troisième femme Edouard de Beaujeu qui devint, par son mariage avec Jacqueline de Lignières, seigneur de La Norville et de La Bretonnière(4).

Il recouvra ses propriétés sur Thomas de Ruis et les Anglais, après la prise de Paris par Charles VII. En 1453, au mois de juillet, il reçut à La Bretonnière l'hommage de ses vassaux(5). Ce fut de son temps que Paris et les environs furent ravagés par la famine et la peste. Ces deux fléaux firent des ravages tels, au dire des historiens de l'époque, que la campagne en était déserte et les terres en friche. On ne voyait presque plus de bestiaux dans les champs, les loups affamés entraient la nuit dans Paris par la Rivière et dévoraient un grand nombre de personnes(6).

Plus tard, après la mort de Charles VII, arrivée en 1461, se forma la ligue du Bien public contre Louis XI. Celui-ci, en arrivant au trône, s'était aliéné des grands seigneurs et une partie de la noblesse en enlevant leurs charges aux braves officiers qui avaient aidé Charles VII à délivrer le royaume. La révolte ayant éclaté, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, se mit à la tête des mécontents. L'armée du roi marcha à leur rencontre : elle venait d'Etampes et se dirigeait sur Paris par Torfou et Châtres. Les troupes bourguignonnes, campées à Longjumeau et aux environs, avaient leur avant-garde à Montlhéry. Une grande bataille fut livrée au pied de la forteresse, dans la plaine de Longpont (1465). Elle resta indécise. Louis XI, avec ses troupes, se retira sur Corbeil. Deux jours après, Charles le Téméraire se retira sur Etampes. Le combat avait été livré sous les yeux des habitants de La Norville et de La Bretonnière qui, de leurs hauteurs, pouvaient facilement apercevoir le théâtre de la lutte. Ils payèrent probablement très cher la vue de ce triste spectacle, en souffrant les dégâts occasionnés par le passage des troupes des deux partis.

Edouard de Beaujeu eut deux fils et deux filles :
- François d'Amplepuits; qualifié abbé de Saint-Germain d'Auxerre dans un titre du 18 avril 1462, il quitta l'habit ecclésiastique pour se marier à Françoise de Maillé, dame de Châteauroux en partie, et mourut, en 1469, sans laisser de postérité;
- Jacques, écuyer, seigneur de Lignières, de La Norville, de La Bretonnière, puis d'Amplepuits après la mort de son frère, vidame de Trillebardon et de Chermankez les Meaux;
- Anne, épouse de Jean de Baudricourt, décédée sans enfants;
- Marguerite, femme de Guillaume de Sully(7).

Jacques de Beaujeu, seigneur de Norville et de la Bretonnière, eut pour femme Jacquette Jouvenel des Ursins, fille de Guillaume Jouvenel des Ursins, chancelier de France, et de Geneviève Héron. De leur mariage naquit un fils ; Philippe de Beaujeu, seigneur de Lignières. Marié à Catherine d'Amboise, il décéda sans enfants.

Dès 1469, Jacques de Beaujeu, s'occupa de reconstituer ses seigneuries de La Norville et de La Bretonnière. Il fit prendre copie des aveux et dénombrements rendus aux rois par ses prédécesseurs, puis quelques années après, le 26 février 1474, vendit ses terres à Pierre Leprince, contrôleur de la chambre aux deniers de Louis XI. Cette famille n'était restée en possession de La Norville qu'une cinquantaine d'années. Ses armes étaient d'argent à cinq faces de gueules.

Par acte de vente passé devant Antoine Satrin et Thomas Lemaire, clercs notaires à Montlhéry sous Robert d'Estouteville, chevalier, seigneur de Beynes et baron d'Ivry, prévôt de Paris, Jacques de Beaujeu se portant fort de l'acquiescement de noble dame Jacqueline de Lignières, sa mère, céda à honorable homme et sage  Pierre Leprince, pour la somme de 1 010 livres payées comptant :
1° le château, village, justice, métairies, terre et seigneurie de La Bretonnière, comme elles se comportaient et étendaient de toutes parts, fiefs, arrière-fiefs, cens, rentes, près, bois, garennes situés et assis en la châtellenie de Monthléry;
2° la terre, seigneurie de La Norville, fiefs et arrière-fiefs;
3° la terre et seigneurie du Couldray-Liziart, fiefs et arrière-fiefs tenus et mouvant en fief du roi à cause de sa Châtellenie de Montlhéry;
4° la Boucherie de Châtres, sous ledit Montlhéry, ses cens et appartenances, tenue et mouvant en fief du seigneur de Bruyères-le-Châtel;
5° la rue du Clos et ses Appartenances, tenue en fief du seigneur de Graville, cause de sa tour et seigneurie de Châtres, et généralement tout ce qui appartenait audit sieur de Beaujeu aux lieux ci-dessus désignés en la prévôté de Montlhéry, aux bailliages d'Etampes et de Châtres(8).

Le prix modique de cette vente indique assez par lui-même dans quel état déplorable se trouvaient, après la guerre de Cent ans et les troubles publics, les seigneuries aliénées. Le manoir seigneurial de La Norville avait disparu dans la tourmente. Encore debout, en 1366, sous Jean le Breton, il n'existait déjà plus aux dernières années du XIVe siècle. A cette époque, de 1392 à 1418, les Chartreux de Paris avaient à La Norville des fermiers chargés de percevoir, au profit de leur église, certaines rentes seigneuriales achetées un siècle auparavant à Renaud de Frangeville. Ces fermiers tenaient avec grand soin leurs livres de comptes, notant par tenants et aboutissants les pièces de terre sur lesquelles ces redevances étaient assignées. Ces pièces de terre étaient nombreuses et dispersées dans toutes les parties du territoire; or, jamais aucune d'elles n'est désignée comme tenant ou aboutissant aux propriétés du seigneur de La Norville, tandis que très souvent elles sont mentionnées comme tenant ou aboutissant aux terres du Breton de La Bretonnière ; de monseigneur de La Bretonnière ; ce qui n'aurait pu se dire d'une manière aussi exclusive si le manoir seigneurial de La Norville eut encore été debout et habité comme au temps de Jean le Breton qui en faisait un aveu et dénombrement spécial au roi, en 1366. En 1392, ce manoir évidemment n'existait plus; il n'avait pas échappé aux déprédations que le général anglais Knole fit aux environs de Paris dans son expédition de 1370.

En 1474, il n'était pas rétabli, comme on le voit par l'acte de vente. Sur son emplacement, tout à côté de l'église, un jardin entouré de fossés, auprès duquel se trouvait un colombier et une basse-cour avec une maison de fermier, constituait le lieu seigneurial dont la possession donnait au seigneur de La Bretonnière les droits de seigneurie dans la paroisse de La Norville. C'est dans ce jardin que le château actuel fut bâti. Le colombier, dernier reste de l'ancienne seigneurie, existait encore il y a quelques années dans la basse-cour de ce château.

La propriété de La Bretonnière avait été elle-même fort endommagée. Quelques jours après l'achat des seigneuries, le 7 mars 1474, Pierre Leprince obtint du prévôt de Paris l'autorisation de faire des réparations nécessaires à son château qui tombait en ruines, ainsi que les labours et les défrichements des terres de La Bretonnière, de La Norville et du Couldray-Liziart sans lesquelles choses être accomplies, dit l'ordonnance du prévôt, lesquels lieux seraient de nul profit et valeur. Les Chartreux de Paris comptaient 90 arpents de terres en friche dans leur censive de La Norville; le manoir des religieuses de Villiers était détruit et leurs autres possessions en décadence.

Aux environs, tout était dans une égale désolation. Le seigneur de Bruyères-le-Châtel, dans un aveu de 1462, déclarait complètement détruits les villages de Baillot, Couart, le Petit-Ruot, la Verville, Repenty, Saint-Maurice, Arvy, Loppigny, le Plessis de Bruyères, Mulleron, qui comptaient avant la guerre une centaine de feux. A Trou, dans la même seigneurie, il n'y avait plus qu'un laboureur, à la Roche un ménage, à Ollainville six ménages, au Grand-Ruot deux ménages(9).

Malgré les souffrances causées par les Anglais, les Bourguignons, les Armagnacs, la famine, la peste et la ligue du Bien Public, le village de La Norville était, en 1474, plus grand et plus peuplé que de nos jours. Composé de deux parties, de Mondonville et de La Norville, qui constituaient chacune un titre seigneurial entre les mains de Pierre Leprince, il occupait un espace plus étendu que celui d'aujourd'hui en longueur et en largeur.

Le fief de Mondonville commençait à la jonction des chemins de Châtres à La Norville et de Châtres à Leudeville, et se dirigeait au nord-ouest du côté de La Bretonnière.

La Norville commençait à la jonction des mêmes chemins et se dirigeait au sud-ouest. Les maisons du village remplissaient l'espace occupé maintenant par la pâture et une partie du potager, puis, après l'emplacement du manoir des religieuses de Villiers et le fief des Carneaux (le petit château) qui lui faisait face, continuaient des deux côtés de la route presque sans interruption jusqu'au chemin du Bon-Puits et celui de Pasquot. Parallèlement à cette rue principale, il y en avait une autre appelée le chemin des Bauges. Elle commençait au chemin Pasquot et venait aboutir au chemin de Leudeville, en passant derrière le manoir de Villiers. Plusieurs ruelles faisaient communiquer la rue de La Norville au chemin des Bauges. Celui-ci était entouré de maisons de Marolles. La rue était continuée par le chemin de Boinville qui allait jusqu'au carrefour du même nom, aujourd'hui dit de la Lance. Le village suivait ce chemin et s'étendait ainsi, du  moins par quelques écarts, dans la partie du territoire appelée actuellement les Champs-Jolly.

Aux seigneuries de La Norville et de La Bretonnière se rattachaient un certain nombre de fiefs : celui de Varennes ou de la Maison-Rouge dans la paroisse de Valpuiseaux, ceux de Videlles, de Viviers en la paroisse d'Orsay, du bois de Presles dans la paroisse de Boissy-le-Sec, de Voisins-le-Bretonneux, de la Lance entre La Norville et la maladrerie Saint-Blaise, de Vallorge près Leuville, des Bois-Défendus, la Maison-Rouge, la Maison-Neuve, Brécourt à La Bretonnière. Le fief de Roinvilliers ou des Marchands à La Norville était alors indépendant. Les seigneuries de La Briche et de Guillerville appartenaient aussi à Pierre Leprince.

Celui-ci était d'une origine modeste. Fils d'Adrien Leprince, barbier, puis valet de chambre de Charles VI, en 1410, il succéda à son père dans sa charge et fut de même valet de chambre de Charles VII et de Louis XI. Ce dernier roi, défiant à l'excès, ennemi des nobles et des grands seigneurs, avait tiré de leur obscurité quelques favoris et se les était attachés en les comblant d'honneurs. Tel furent Olivier le Daim et le médecin Coctier. Pierre Leprince, bien que moins connu, ne s'éleva pas autrement, grâce aux faveurs royales. De barbier et de valet de chambre, il devint successivement contrôleur de la chambre des deniers, contrôleur de la dépense ordinaire de l'hôtel du roi, notaire et secrétaire de Louis XI. Ce dernier titre avait été possédé par Etienne Froment. Celui-ci ayant voulu quitter sa charge, Louis XI, pour bien marquer l'estime qu'il avait du seigneur de La Norville, ne voulut accepter la démission de Froment, par lettres du 1er avril 1476, qu'à la condition expresse qu'elle serait donnée en faveur du seul Pierre Leprince(10). Alors que les autres seigneurs relevant du roi, à cause de son château de Montlhéry, étaient obligés, en rendant leurs aveux et dénombrements, de se soumettre au cérémonial ordinaire, de se présenter devant la porte principale du château nu-tête, sans ceinture, sans épée, sans éperons, un genou en terre, d'appeler le roi à trois reprises différentes, et d'attendre que son lieutenant vint recevoir les actes de foi et d'hommage, Pierre Leprince, exempté de ces formalités, s'adressait directement au souverain, tantôt à son château du Plessis-les-Tours, sa résidence ordinaire, tantôt dans ses voyages, comme il le fit à Senlis, au mois d'octobre 1474.

Pour mettre le comble à ses faveurs, Louis XI, au mois d'octobre 1477, concéda à Pierre Leprince la haute, moyenne et basse justice dans ses terres et seigneuries de La Bretonnière, La Norville, Mondonville, La Briche et Guillerville, par lettres patentes signées de la main au château du Plessis du parc les Tours et contresignées par l'évêque d'Albi, conçues en ces termes :
Louis, par la Grâce de Dieu, roy de France, savoir faisons à tous présents et advenir que nous, considérant les bons, louables, agréables et recommandables services que nostre amé, féal notaire, secrétaire messire Pierre Leprince, controlleur de nostre chambre aux deniers, nous a par ci-devant et de long temps faicts et a continué chacun jour en grand cure et diligence tant à l'entour de nostre personne en son office de contrôleur que aultrement en plusieurs et maintes manières et espérons que encore plus fera le temps advenir, à icelluy, pour ces causes et pour aucunement le récompenser d'iceulx services et pour aultres grandes causes et considérations en ce nous mouvant, avons céddé, transporté et délaissé et, par ces présentes, de nostre grâce spéciale, plaine puissance et authorité royale, donnons, ceddons, transportons et délaissons la haute, moyenne et basse justice que nous avons et pouvons avoir, ce qui peut nous competter et appartenir, à cause de nostre chatellenie seigneurie de Montlehéri et compté d'Estampes, és lieux, terres et seigneuries de La Brethonnière, La Norville, Mondonville, La Briche et Guillerville, leurs appartenances, appendances et dépendances quelconques ainsi qu'elles se comportent et estendent de toutes parts et d'ancienneté, lesquelles terres et seigneuries il a prins naguères acquises avoir, tenir, expléter et exercer, ou faire tenir, expléter et exercer doresnavant perpétuellement, paisiblement, ensemble des droits, prérogatives, prééminences, privillèges, franchises, libertés et aultres droits, devoirs, proffits, revenus et émolluments et choses quelconques qui y appartiennent et doibvent appartenir, pour luy, ses hoirs, successeurs et ayant cause és dits lieux, terres, seigneuries de La Bretonnière, La Norville? Mondonville, La Briche et Guillerville...et pour l'exercice d'icelle justice lui accordons, outre donné et donnons pouvoir et faculté et à ses dits hoirs, successeurs ou de luy ayant cause d'ériger fourches patibulaires et aultres enseignes de haulte justice et de créer et establir bailly, prévost, maire, garde des sceaux, sergents et aultres officiers et ministres de justice, four et moulin bannis, si nous avons accoutumé de luy avoir et toutes aultres choses convenables, nécessaires et appartenant à icelles sous le ressort de nostre vicomté, prévôté de Paris et compté d'Estampes...... Moyennant toutefois ce parmi que nostre dit secrétaire et controlleur a quitté, transporté en ce faisant à nous et aux nostres perpétuellement la somme de 60 sols parisis qu'il dit mous luy estre dubs sur nostre dite chastellenie de Montlehéri à cause des choses dessus dites et tous les arrérages qui en sont dubs, dont il sera tenu de bailler lettres et quittances en nostre chambre des comptes; et y donnons en mandement par les présentes à nos amés, féaux gens de nos comptes et trésoriers à Paris, au Prévost de Paris, chastelain dudit Montlehéri, bailly d'Estampes et à tous nos aultres justiciers ou à leurs lieutenants présents ou advenir.....que nostre dit notaire et secrétaire, maistre Pierre Leprince, ses dits hoirs et successeurs et ayant cause ils fassent, souffrent et laissent jouir et tenir pleinement et paisiblement de nos présentes grâces, don, octroy, etc.....(11)

Ces lettres furent enregistrées à la Cour des Comptes, le 6 août 1478. Leur enregistrement souleva une opposition, celle de messire Louis de Bouhaut dit de la Rochette, seigneur de Bruyères. Voici à quel propos. Les seigneurs de La Bretonnière possédaient, au-dessus de Châtres, un fief nommé Champourry. Ce fief consistait en 37 sols de menus cens et 60 sols à prendre chaque année sur la prévôté de Montlhéry. Champourry était dans la mouvance de Bruyères-le-Châtel. En concédant à Pierre Leprince les trois degrés de justice, Louis XI avait demandé que la prévôté de Montlhéry fût déchargée de cette redevance, ce qui lui avait été accordé sans le consentement du seigneur de Bruyères. Celui-ci, lésé dans ses droits de suzerain immédiat, porta ses réclamations devant la Cour des Comptes, mais il ne put obtenir contre Pierre Leprince qu'une réserve inefficace dans l'acte d'enregistrement(12).

Plus tard, en 1772, au moment où le roi, mettant en vigueur plusieurs ordonnances de Louis XIV, voulut abolir un certain nombre de justices concédées sur le domaine de la couronne par les souverains, le célèbre avocat Coustart fut appelé à donner son avis sur les lettres patentes de Louis XI. Dans le texte un peu obscur, il prétendit découvrir, entre autres choses, qu'en 1477, la haute, moyenne et basse justice, au lieu d'avoir été concédée par le roi, n'avait simplement que fait retour aux seigneuries de La Bretonnière, La Norville et dépendances. Il se basait sur ce texte : Ladite concession faite moyennant toutefois que Pierre Leprince quitte et transporte à nous et aux nostres perpétuellement 60 sols parisis qu'il dit par nous lui être dubs sur nostre chastellenie à cause des choses susdénommées. Or, disait l'avocat, quelles étaient les choses sus-dénommées ? Les lettres patentes l'expliquent : la haulte, moyenne et basse justice que nous avons et pouvons avoir, à cause terres de nostre chatellenie de Montlehéri, és lieux, terres et seigneuries de La Bretonnière, La Norville, Mondonville, La Briche et Guillerville, ainsi qu'elles séestendent de toutes parts et d'ancienneté. Donc d'ancienneté, les trois degrés de justice appartenaient à ces seigneuries. Cédés aux rois pour 60 sols parisis à prendre chaque année sur la prévôté de Montlhéry, ils ont fait retour, moyennant l'abandon de cette somme, et les choses sont demeurées dans l'état où elles étaient à l'origine.

La protestation du seigneur de Bruyères au moment de la concession faite par Louis XI, les aveux et dénombrements de ce seigneurs en 1462, en donnant une autre origine à cette redevance, attaquent par la base le raisonnement du célèbre avocat. Il fut néanmoins admis dans la pratique. La justice avec ses trois degrés, donnée comme une faveur à Pierre Leprince, resta, malgré les ordonnances et les procureurs généraux, aux seigneurs de La Norville jusqu'à l'abolition de la féodalité.

Pierre Leprince, aussitôt après la concession de la justice, se mit en mesure d'en exercer les droits. Il fit élever des fourches patibulaires dans la partie du territoire de La Norville, appelée encore en 1763 la Vieille-Justice, située à gauche du chemin de La Norville à Leudeville, entre la seigneurie de Marolles, le fief des Cochets, le champtier du Pont-des-Grès et les bois de Flexainville. Les premiers gibets furent renversés aussitôt après leur construction. Le 18 octobre 1478, ils n'existaient déjà plus. Pierre Leprince attaqua les Chartreux devant la Cour de Parlement comme complices de cette destruction. Complices ou non, les Chartreux déclarèrent que la destruction avait été juste, attendu que le seigneur de La Bretonnière avait fait ériger ses gibets sur une de leurs propriétés. Pour d'autres motifs, ils eurent des querelles et des procès avec Pierre Leprince. Les religieuses de Villiers, le chapitre de Notre-Dame de Paris durent aussi plaider contre ce seigneur qui paraît dans toutes ces circonstances, non seulement jaloux de ses droits et prérogatives, mais encore très désireux d'augmenter ses propriétés aux dépens d'autrui.

Par des moyens tout à fait légitimes, il arrondit ses domaines du côté de Brétigny, en achetant de Jean Péningle, pour la somme de 800 livres tournois, les seigneuries du grand et du petit Cochet, le 16 septembre 1479. Vingt-quatre arpents de terre de ces seigneuries étaient soumis à une redevance annuelle de 24 sols parisis de pur et chef cens au profit du seigneur de Bruyères. Plus tard, cette rente fut amortie par un fils de Pierre Leprince et remboursée à Marie de Chaudet, veuve de Louis de Bouhaut, dit de la Rochette, seigneur de Bruyères-le-Châtel.

Louis XI étant mort le 30 août 1483, Charles VIII, son fils, âgé seulement de treize ans, lui succéda. Anne de France, sa sœur, mariée au sire de Beaujeu, gouverna le royaume en son nom avec le titre de régente. tout d'abord, elle s'appliqua à faire disparaître de la cour et à punir de leurs forfaits les favoris du roi défunt, les Le Daim, devenu capitaine de Corbeil, Les Doyac, Les Coctier et autres. Pierre Leprince fut épargné; bien plus, il conserva ses fonctions de notaire et secrétaire du roi et fut chargé en cette qualité de plusieurs missions fort importantes au début du règne de Charles VIII.

Le duc d'Orléans, qui régna dans la suite sous le nom de Louis XII, avait disputé la régence à Anne de Beaujeu. Il s'était allié au duc de Bretagne et à l'archiduc Maximilien d'Autriche qui avait toujours sur le cœur le mariage forcé de sa fille avec le roi de France et la perte des comtés d'Artois et de Bourgogne. Le moyen pour la régente d'empêcher Maximilien de servir ses rancunes et les intérêts du duc d'Orléans était de fomenter la guerre civile déjà allumée dans les provinces des Pays-Bas. Les Flamands avaient toujours été disposés à résister aux ducs de Bourgogne. Ils furent encore plus portés à la révolte après la mort de l'épouse de Maximilien, fille de leur seigneur. Pour ne pas rester sous la domination des Allemands et recouvrer une certaine indépendance, ils s'étaient emparés de la personne de Philippe, comte de Flandre, fils de l'archiduc, et s'étaient déclarés les tuteurs de ce prince en bas âge, alors que Maximilien réclamait pour lui ce titre. Gand, Bruges et Ypres étaient à la tête de la confédération des révoltés. Anne de Beaujeu appuya ces villes. Elle leur envoya une ambassade dont Pierre Leprince fit partie comme notaire et secrétaire du roi. Un traité d'alliance fut conclu en 1484; la régente s'engageait à envoyer de l'argent et des troupes à la confédération. En 1483, Pierre Leprince retourna seul chez les Flamands. Il était chargé d'une mission secrète dont l'histoire n'a pas pénétré le mystère(13). Grâce à tous ces efforts, l'influence de l'archiduc dans les affaires intérieures de la France fut neutralisée, et le duc d'Orléans dut abandonner ses prétentions.

Après avoir mené à bonne fin ces diverses ambassades fort délicates, Pierre Leprince s'occupa de ses seigneuries. En 1489, le 10 juillet, il échangea par-devant Jehan Turgis, prévôt de Montlhéry, le fief du Couldray-Liziart, qu'il avait acheté de Jacques de Beaujeu, pour le fief de Guernot-Voisin, appartenant à Philippe Dumoulin, seigneur de Briis. Ainsi fut détaché des seigneuries de La Norville et de La Bretonnière cet ancien fief de la famille des de Lignières. Le fief de Guernot-Voisin, composé de maisons, masures, cours, jardins et terres contenait environ 200 arpents. Le même jour, Pierre Leprince le vendit, par-devant Jehan Hernault, tabellion juré à Montlhéry, à René de Harnassé(14).

Louis XII, duc d'Orléans, ayant succédé, en 1478, à Charles VIII, mort sans enfants, se rappela que Pierre Leprince, en négociant avec les Flamands pour le compte de la régente contre l'archiduc Maximilien, n'avait pas servi ses intérêts. Il lui retira les charges qu'il avait occupées sous le règne précédent. Dans un acte de 1499, Pierre Leprince est simplement désigné, sans aucun titre, sous le nom de seigneur de La Bretonnière. Mais le roi Louis XII ne voulut pas toujours ainsi venger les injures faites au duc d'Orléans. Il ne se montra pas intraitable envers l'ancien barbier de Louis XI et le récent négociateur de Charles VIII. Il octroya au seigneur de La Norville et de La Bretonnière le titre d'écuyer et le nomma son maître d'hôtel par lettres du 13 novembre 1503(15). Pierre Leprince ne vécut pas longtemps après avoir obtenu ces distinctions. Il mourut deux ans après et fut inhumé dans la chapelle du château de La Bretonnière qu'il avait fait dédier, le jour de la fête de saint Louis, 1503, par Jean, évêque de Mégare. Sur sa tombe on lisait cette inscription : Cy gist noble homme Pierre Leprince, on son vivant escuier, maistre d'hôtel du roi et seigneur de La Bretonnière, Mondonville, La Norville, La Briche et Guillerville, qui trespassa le 25e jour d'Avril 1505 (16)

De son premier mariage avec Agnès de Tuillières, il avait eu une fille, qui prit l'habit religieux. Le 26 mars 1485, il avait épousé en secondes noces Pernelle de Brichanteau, fille de Charles de Brichanteau, seigneur des Granges, capitaine de Montlhéry et de Jeanne d'Hémery. De ce mariage, il avait eu deux fils et quatre filles :
- Charles, seigneur de La Bretonnière et de La Norville, qui épousa, le 26 février 1527, Madeleine de Quincampoix, fille de Louis de Quincampoix, seigneur de Metz et de Longuesse, échanson de la reine Marie de Navarre, époux de Marguerite de Longeau;
- Pierre, seigneur de La Briche, époux de Louise de Languedoue;
- Jeanne, veuve, en 1525, de Louis de Boissy, seigneur de Rouville, remariée à Jean de Quincampoix, écuyer, seigneur de Montcheny;
- Marie, femme, en 1525, de Jacques Le Gabilleux, seigneur d'Intreville;
- Louise, femme, en 1525, de Jean de l'Estendart, seigneur de Heurteloup et de Flexanville;
- Marguerite, veuve la même année de Jean de Mérainville, seigneur de Marolles.

Les armes des Leprince, qui se trouvent dans l'église de La Norville, sur la deuxième clef de voûte, au-dessus du sanctuaire, étaient comme celles des de Beaujeu : d'argent à cinq faces de gueules; supports : deux aigles au naturel. On trouve aussi les armes des Leprince mi-partie de Tuillières et mi-partie de Brichanteau(17).

(1) MALTE-BRUN, Histoire de Montlhéry.
(2) LA CHESNAYE DES BOIS, Dictionnaire de la Noblesse.
(3) DANIEL, Histoire de France.
(4) LA CHESNAYE DES BOIS, Dictionnaire de la Noblesse.
(5) Archives du château de La Norville.
(6) DANIEL, Histoire de France.
(7) Bibliothèque nationale, Manuscrits.
(8) Archives du château de La Norville.
(9) Id.
(10) Bibliothèque nationale, Manuscrits.
(11) Archives du château de La Norville.
(12) Id.
(13) Bibliothèque nationale, Manuscrits.
(14) Archives du château de La Norville.
(15) Bibliothèque nationale, Manuscrits.
(16) LEBOEUF.
(17) Bibliothèque nationale, Manuscrits.

(M.A.J. 19/08/2001)

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