CHAPITRE PRELIMINAIRE

Sommaire

Après la conquête de la Gaule, les Romains pour faire manoeuvrer plus facilement leurs armées au milieu d'un peuple à demi dompté et pour favoriser leur oeuvre de colonisation, construisirent de grandes voies et relièrent entre elles les principales villes de cette contrée. Orléans et Lutèce formaient deux postes importants, l'un sur la Seine, l'autre sur la Loire. Les mettre en communication fut un des premiers soins des légions victorieuses. Dans ce but, elles tracèrent au milieu des immenses plaines voisines du pays des Carnutes, puis à travers les régions plus accidentées des environs de Lutèce, une de ces routes indestructibles que les ingénieurs modernes ont quelquefois redressées, mais presque toujours suivies. Cette voie, après avoir quitté le pays d'Etampes, entrait dans la région appelée au IIIe siècle territorium Gastrinse  et venait aboutir sur la rive gauche de la Seine, aux ponts qui rattachaient l'île de la Cité à la terre ferme.

Tout auprès de cette grande voie, à huit lieues au sud de Lutèce, au confluent de deux rivières aujourd'hui nommées l'Orge et la Remarde, dans un lieu où existait probablement une station romaine, fut construit un village qui jouit plus tard d'une certaine célébrité. Il existait au IIIe siècle. Le prêtre Jonas ou Yon, disciple de saint Denis, apôtre de Paris, l'évangélisait alors. Ce village s'appelait Châtres, du nom latin Castra, camp, ou des noms Watris Capum, Watris Chafum, employés dans les anciennes langues du Nord pour désigner un endroit baigné par des eaux.

Comme la plupart des autres lieux de la campagne, Châtres était composé de maisons éparses de chaque côté de la voie romaine. Ces différents groupes d'habitations formèrent plus tard quatre villages : Châtres, Saint-Germain, La Bretonnière et La Norville(1). Cette formation dut avoir lieu au moment où la ville fut entourée de remparts. On ne voulut pas étendre ces défenses outre mesure, ni surtout enfermer dans leur enceinte la grande route qui reliait les provinces du Nord au centre de la Gaule. Cette précaution, dictée par la plus vulgaire prudence, avait pour but d'éloigner de la ville les attaques et les sièges qu'elle aurait dû nécessairement soutenir chaque fois qu'une armée ennemie ou un parti assez fort se serait dirigé d'Orléans sur Paris, ou de la Seine sur la Loire.

Laissées en dehors des remparts, ces différentes parties de Châtres prirent chacune un nom particulier. Si l'on en croit le savant historiographe du diocèse de Paris, le village de La Norville aurait tiré le sien d'une habitation possédée par un certain Leonorius ou Leonardus, peut-être même par un nommé Honorius, ou par une femme du nom D'Aanor. Ce qui donna lieu aux diverses suppositions de cet auteur fut la manière différente d'écrire au XIe, au XIIe et au XIIIe siècles le nom latin de La Norville. Dans les chartes de ce temps, ce village est tantôt appelé Lanorvilla, et tantôt Norvilla. La première orthographe favorisait l'étymologie : Leonorii ou Leonardi villa, par corruption Lonorvilla ou Lanorvilla, et plus tard Lanorvilla  la seconde, l'étymologie Honorii ou Aanoris villa, mots qui se transformèrent en Onorvilla ou Anorvilla et Norvilla(2).

Quoi qu'il en soit de ces différentes probabilités, il est certain qu'on n'entre dans l'histoire de La Norville qu'à la fin du XIe siècle. En l'année 1090, un monsieur de ce village, nommé Gui, parut en l'abbaye de Longpont comme témoin d'une donation faite à l'église de ce lieu par Gui de Linas au nom de sa soeur Hersende(3). Ce Gui de La Norville dut faire partie de l'association des seigneurs qui, sous la conduite de Gui de Troussel, seigneur de Montlhéry, et plus tard du comte de Mantes, tint si longtemps en échec dans Paris les rois Philippe Ier et Louis VII.

Gui Troussel, vers 1090, avait attiré dans son château une foule de factieux et de brigands de toute espèce. Depuis Corbeil jusqu'à Châteaufort, dans l'étendue d'une ligne courbe de quinze lieues, il avait formé une barrière flanquée de redoutes et châteaux. Les seigneurs du voisinage (et La Norville n'est qu'à une lieue à peine de Montlhéry) s'étaient joints à ce rebelle. La confédération de Montlhéry bloquait ainsi la Capitale au sud, interceptait toutes les communications civiles, militaires et commerciales entre Orléans et Paris, enlevait sans façon les voyageurs avec leurs bagages, pillait et dévastait à l'aise toute la contrée privée de la protection du sceptre du roi et de la vengeance de sa justice. Elle répandait partout l'exemple du désordre et de l'anarchie et tenait le royaume sous le poids d'une terreur de grand chemin(4).

Philippe Ier lutta longtemps contre cette confédération. L'Abbé Suger, contemporain des événements, nous a rapporté ses efforts presque tous sans résultats. Le roi ne put réduire les seigneurs par les armes. Il ne réussit à s'emparer de la formidable citadelle qui leur servait de repaire et à faire entrer dans sa maison la Châtellerie de Montlhéry qu'en mariant l'un de ses fils, Philippe, comte de Mantes, avec Elisabeth, fille de Gui Troussel.

Après la mort de Philippe Ier, les seigneurs de l'Ile de France se révoltèrent de nouveau contre Louis, son fils et son successeur. Le Comte de Mantes se mit à la tête de la rébellion. A son appel se rendirent aussitôt le Comte de Rochefort et ses deux fils, Gui et Hugues de Crécy, Amaury de Montfort, les frères Garlande, Milon de Bray, frère cadet de Gui Troussel, et un grand nombre d'autres. Le nouveau roi mena plus vivement la guerre que Philippe Ier. Il s'efforça de rompre la ligue en en détachant quelques partisans. Il put gagner Milon de Bray. Privés du concours de ce seigneur, les révoltés furent bientôt vaincus. Après la paix, Louis VII donna la châtellerie de Montlhéry à Milon. Celui-ci fut dès lors en butte à la haine des anciens confédérés et en particulier à celle de Hugues de Crécy, son cousin germain, qui, pendant les troubles, avait un instant convoité le château de Gui Troussel.

Hugues de Crécy dressa toutes sortes d'embûches à Milon. Il le prit et l'assassina en 1117. Le corps mutilé de Milon de Bray, suivant les désirs précédemment exprimés par ce seigneur, fut inhumé dans l'église de Longpont. Les cérémonies des funérailles furent célébrées avec une grande solennité. Le roi lui-même, accouru à la première nouvelle du crime, y assistait et avec lui l'évêque de Paris, le doyen du chapitre et un grand nombre d'illustres personnages. Quelques jours après ces obsèques, Renaud de Montlhéry, évêque de Troyes, frère de Milon, vint avec Manassé, vicomte de Sens, visiter dans l'église de Longpont le tombeau de son frère. Il versa, dit la chronique, d'abondantes larmes et fit chanter un service solennel pour le repos de l'âme du défunt. Beaucoup de seigneurs du voisinage assistaient à cette triste cérémonie ; de ce nombre était Aymon de La Norville, probablement fils de Gui du même nom (5).

Aymon de La Norville, qui vivait en l'année 1117, eut deux fils, Gui et Thomas(6). La fille de l'un d'eux, nommée Comtesse, était en 1190 à la tête de la seigneurie. A cette date, elle eut un différend avec le prieur de Saint-Clément de Châtres, à propos des boucheries de cette ville grevées envers elle de certaines redevances. Elle composa avec le prieur de Saint-Clément, par-devant Maurice de Sully, évêque de Paris. Dans l'acte d'accord, on voit que la dame de La Norville possédait entre autres choses une hotisse tenue par Renaud de Chevreuse, les droits de censive, de garde et de pressurage sur les vignes appartenant au prieur de Longvilliers et à un nommé Gérard Luce.

Comtesse eut quatre fils : Robert, Gautier, Gui et Philippe, et une fille nommée Marguerite. Elle était nièce d'Adam de Saint-Yon(7). Ses biens furent partagés entre ses cinq enfants. Les uns s'unirent à la famille des Gravelles, d'autres se retirèrent dans la seigneurie de Repenty et peut-être dans celle des Granges; Marguerite épousa Renaud du Plessis; Gui, chevalier et homme lige du roi Philippe-Auguste, posséda le manoir connu plus tard sous le nom de fief des Carneaux et quelques terres à La Norville. Nous les retrouverons presque tous au XIIIe siècle avec leurs possessions et leurs suzerains.

A partir de cette époque, l'histoire de La Norville s'éclaire, les événements s'enchaînent. Ce village, situé à huit lieues au sud de Paris, sur les côteaux qui dominent au levant la vallée de l'Orge, entre Montlhéry, Etampes et Dourdan, à un demi-quart de lieue de Châtres, sur les bords de l'ancienne voie romaine, depuis nommée la grande route d'Orléans, qui passait alors dans les terres de la Maladrerie Saint-Blaise, au-dessous des Champs-Jolly et en dehors des remparts de Châtres, fut, par sa position même, témoin et souvent victime de la plupart des événements qui s'accomplirent entre Orléans et la capitale. La beauté de son site, la salubrité de son climat, la fertilité de ses terres le firent bientôt connaître. Au XIIIe siècle, le chapitre de l'église Notre-Dame de Paris y achetait la dîme du blé, les Chartreux de Vauvert des rentes seigneuriales, les religieuses de Villiers, près la Ferté-Aleps, y possédaient un manoir, des terres, des redevances et des droits féodaux. Au XIVe siècle, le collège du cardinal Le Moine y acquit des propriétés et des censives. Faire connaître l'histoire de la seigneurie et des seigneuries de La Norville, celle des fiefs libres et celle des fiefs servants, parler des propriétés et des droits possédés par différentes communautés, de l'église et du grand événement qui mit fin à l'ancien ordre de choses, tel est simplement le but de cet ouvrage.

(1) LEBOEUF.
(2) LEBOEUF. La Norville.
(3) Voir pièces justificatives , n°1.
(4) SUGER, Chroniques.
(5) Pièces justificatives, n°2.
(6) Id., n°3.
(7) Id., n°4

(M.A.J. 18/08/2001)

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